Secteur du cinéma d'animation


Observatoire Prospectif des Métiers et des Qualifications de l’Audiovisuel
La formation et l’emploi dans le secteur de l’animation
“Le terme liberté a notoirement beaucoup d’acceptions, mais peut- être que le genre de liberté le plus accessible, le plus goûté subjectivement et le plus utile à l’homme, coïncide avec le fait d’être compétent dans son propre travail, et donc avec le fait de l’exécuter avec plaisir.”
Primo Levi : La clé à molette
René Broca – janvier 2009
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SOMMAIRE
I. L’offre de formation initiale 1. Les formations reconnues par le milieu professionnel 1.1. Trois formations au rayonnement international 1.2. Huit écoles professionnalisantes largement reconnues 1.3. Deux formations récentes et prometteuses 1.4. Une formation d’excellence aux VFX 1.5. Récapitulation partielle 1.6. Un cas particulier 1.7. Autres formations citées 1.8. Premières conclusions
2. Les problématiques de la formation initiale
2.1. Les conditions d’une bonne formation 2.2. Un marché concurrentiel et anarchique 2.3. Diplômes, titres, certificats 2.4. Des filières de fait ?
2.5. La fuite des talents 2.6. La question de la “labellisation” 2.7. Les possibilités du dialogue
3. Le marché de l’emploi
3.1. Le dynamisme du secteur 3.2. Contexte national et international 3.3. Plein emploi ? 3.4. Les compétences déficitaires 3.5. Refuser le malthusianisme
p.4 p.7 p. 8 p.21 p.37 p.40 p.41 p.44 p.45 p.50
p.53
p.53 p.61 p.64 p.69 p.72 p.74 p.75
p.83
p.83 p.84 p.88 p.90 p.100
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4. Conclusions et préconisations
4.1. Une offre surabondante et illisible pour les non-initiés 4.2. Une quinzaine de formations reconnues 4.3. Un marché de l’emploi complexe 4.4. Préconisations
p.103
p.103 p.103 p.104 p.105
II. Les incertitudes de la formation professionnelle continue p.111
5. Les missions de l’Afdas et son fonctionnement
6. Un dispositif perçu comme inégalitaire et peu lisible
6.1. Une “mosaïque d’institutions” 6.2. Un accès inégalitaire 6.3. Un sentiment d’opacité 6.4. Une qualité incertaine
7. La dictature de l’immédiat
7.1. Les paradoxes de la formation continue 7.2. Des besoins identifiés... ou non 7.3. Un dialogue défaillant... à relancer
8. Conclusions et pistes de réflexion
8.1. Principales conclusions 8.2. Des pistes... et des questions
Conclusions générales Liste des entretiens
p.113
p.122
p.122 p.126 p.127 p.129
p.132
p.132 p.133 p.137
p.139
p.139 p.142 p.146
p.147
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I. L’offre de formation initiale
Il convient sans doute de préciser d’abord le périmètre du présent travail : il circonscrit un champ occupé évidemment par les sociétés de production de programmes d’animation, essentiellement pour les marchés de la télévision et du cinéma, et tout autant par les studios fabriquant tout ou partie de ces programmes ; mais il concerne aussi les sociétés de postproduction numérique prestataires d’effets visuels pour le cinéma et la publicité : elles partagent en effet avec les studios d’animation 3D nombre de matériels, de logiciels, de procédures et de compétences ; en outre, plusieurs d’entre elles ont investi le secteur du long métrage d’animation, voire de la série. Elles participent par conséquent de plein droit au secteur de l’animation. Cette forte convergence technique et artistique s’observe également sous l’angle de la formation : les jeunes professionnels issus des écoles formant aux techniques de représentation numériques se retrouvent indifféremment dans les différentes catégories d’entreprises.
Il en va tout autrement avec le secteur du jeu vidéo. Celui-ci dispose de ses propres structures de formation, produisant des compétences spécifiques répondant aux enjeux particuliers de l’interactivité1. Les compétences communes portent essentiellement sur les séquences cinématiques et renvoient par conséquent aux savoir-faire de l’animation précalculée ; les entreprises de jeu vidéo sous-traitent d’ailleurs fréquemment ces séquences à des sociétés d’animation. On ajoutera que les deux secteurs sont séparés par des usages
1 Il est révélateur à cet égard que l’école Supinfocom, lorsqu’elle a voulu mettre en place une formation au jeu vidéo, n’a pas créé une section spécialisée en son sein, mais une autre école, Supinfogame.
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professionnels, des pratiques sociales, des situations de marchés fortement divergentes.
L’offre de formation initiale à l’animation en France est, d’une part, extrêmement abondante, d’autre part de qualité très diverse. La formation est certes, dans une société démocratique, un devoir social, doublé, dans une économie de marché développée, d’un impératif économique. Elle est aussi devenue un marché spécifique, avec ses marchands, ses gammes de produits, ses acheteurs, ses techniques de vente, son univers de concurrence, ses coûts de fabrication, ses profits, etc. Qu’un marché de la formation à l’animation ait pu se constituer en France renvoie dans un premier temps à un constat positif : la vitalité du secteur, sur laquelle nous serons amenés à revenir. L’industrie de l’animation est donc devenue un horizon attractif pour les jeunes gens qui disposent – ou croient disposer – des talents et compétences technico-artistiques dont elle a besoin. On doit également prendre en compte, au-delà des critères objectifs, des éléments de caractère plus symbolique : l’aura plus ou moins irrationnelle qui s’attache aux activités liées aux industries du spectacle et du divertissement, au premier rang desquelles le cinéma. Qu’un marché de la formation ait pris racine sur ce terreau n’a rien pour surprendre ni, a priori, pour inquiéter. Mais qu’il se développe de façon incontrôlée, voire anarchique, comme c’est aujourd’hui le cas en France, appelle à l’évidence un effort de redéfinition de ses moyens et objectifs.
Coexistent en effet dans ce paysage des structures de toutes natures, anciennes ou récentes, certaines clairement identifiées par le milieu professionnel de l’animation, d’autres stigmatisées ou ignorées, délivrant à des populations disparates une large variété de diplômes et de titres à la signification parfois incertaine.
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Plus d’une quarantaine d’organismes revendiquent de délivrer une formation à l’animation, mais tous ne sont pas également perçus par le secteur. Pour les entreprises, la reconnaissance de la qualité d’une formation repose sur un critère très concret : l’embauche effective d’un jeune, au terme de son cursus, dans un studio d’animation ou une société de production d’animation. A cette aune, une quinzaine de formations seulement peuvent se prévaloir d’une reconnaissance effective par le secteur, et une poignée font l’objet de citations occasionnelles.
Il ressort de ce premier constat que l’offre de formation initiale à l’animation est devenue inflationniste au fil des ans2, dans des cadres institutionnels multiples (Education nationale, formations consulaires, écoles privées, associations), avec des contenus pédagogiques mêlant le meilleur, le médiocre et le pire. Pour les étudiants et leurs familles, cette offre pléthorique est un labyrinthe pour lequel les éléments d’appréciation restent largement inaccessibles. Pour les entreprises, elle constitue immédiatement un facteur d’incertitude dommageable dans leurs politiques de recrutement, et structurellement un ferment d’inadéquation entre les ressources humaines disponibles et les stratégies de développement nécessaires.
2 La dernière étude nationale sur le sujet, rédigée en 1998, recensait 5 formations existantes et annonçait la création de 3 autres. cf. R. Broca et Ch. Jacquemart : Etude de faisabilité d’un centre permanent de l’animation à Angoulême.
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Chapitre 1 Les formations reconnues par le milieu professionnel
Nous dresserons dans le présent chapitre un tableau analytique des formations qui font l’objet Bien entendu, cette reconnaissance – évaluée, rappelons-le, selon le critère de l’embauche subséquente3 - est d’intensité variable : certaines formations sont connues et reconnues par l’ensemble du secteur ; d’autres ne le sont que par certaines entreprises ; d’autres enfin sont dénoncées comme inadéquates, ou ignorées. Nous les présenterons dans cet ordre.
Une particularité forte des formations à l’animation tient au fait qu’elles ont chacune une identité marquée, du fait de leurs histoires propres comme du fait de la diversité de leurs projets pédagogiques. Il n’existe pas de modèle pédagogique unique, dont chaque formation proposerait une déclinaison. Les profils des étudiants formés sont donc eux aussi très divers. Une entreprise, selon la nature de son activité, selon la ou les techniques qu’elle met en œuvre, pourra en conséquence se trouver plus particulièrement intéressée par certaines formations, une autre entreprise par d’autres. Ceci pour préciser en premier lieu qu’il serait vain de rechercher une unanimité au sein du milieu professionnel, et, en second lieu, pour mettre en garde contre la tentation d’un classement des écoles – à laquelle cèdent certains journaux4 et autres esprits paresseux – qui se
3 D’autres critères mesurant le caractère professionnalisant d’une formation peuvent bien sûr être mis en œuvre. Rappelons que c’est ici le point de vue des entreprises qui est mis en avant, recueilli après enquête (cf. annexes). 4 L’un d’eux, 3D World, s’est risqué à un classement mondial des écoles, pensant avoir trouvé un critère commun de jugement qui serait le nombre de films de fin d’études primés dans les festivals. L’exercice a des limites évidentes : toutes les formations ne s’achèvent pas sur un film de fin d’études ; tous les films de fins d’études ne sont pas réalisés dans des conditions comparables de temps ni de moyens humains et matériels ; enfin, les critères d’attribution des prix, d’un festival à l’autre comme d’une édition d’un festival à la suivante, peuvent être fluctuants, biaisés ou dépourvus de crédibilité.
d’une reconnaissance par le secteur professionnel.
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heurte à l’absurdité d’une comparaison entre des éléments de natures différentes : toutes les écoles n’ont pas les mêmes méthodes, ni les mêmes objectifs ; certaines peuvent être directement concurrentes, mais d’autres seront complémentaires. Répétons-le en d’autres termes : ce que nous cherchons à apprécier ici, c’est l’efficacité des formations en termes de professionnalisation de leurs étudiants. Là encore, une simple quantification des embauches ne serait pas satisfaisante : pas plus qu’on ne saurait additionner des vaches et des moutons, on ne peut additionner des animateurs et des infographistes rendu, des compositeurs et des storyboarders.
1.1. Trois formations au rayonnement international Gobelins Ecole de l’image www.gobelins.fr/fi/animation/ Le département animation du CFT Gobelins – rebaptisé depuis Gobelins Ecole de l’image - a été fondé par Pierre Ayma en 1974, sous l’égide de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. Longtemps le seul – puis l’un des rares – organisme de formation du secteur, il fut de ce fait le partenaire privilégié des pouvoirs publics et des entreprises dans le processus de constitution – pratiquement ex nihilo - d’une industrie française de l’animation.
Près de 35 ans après sa fondation, “l’école des Gobelins” jouit d’une expérience incomparable et d’un prestige sans égal. Elle reste une référence incontournable, en France comme au plan international. Rappelons que Gobelins Ecole de l’image est l’une des douze écoles de la CCI de Paris. C’est donc une école consulaire, sans lien avec le ministère de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur. Les titres délivrés par la CCIP ne sont pas reconnus par l’Etat.
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A. Conception et réalisation de films d'animation
Le département animation délivre un certificat de la CCI de Paris de Conception et réalisation de films d'animation en 3 ans à temps plein (de septembre à juin), avec une semaine de stage dans les années 1 et 2, à 25 étudiants de niveau baccalauréat recrutés sur concours. Le prix de la formation est de 4400 €/an, pour un coût/étudiant évalué à 10 000 à 12 000 €.
L’objectif est de former des “généralistes multifonctions”. Toutes les compétences requises par la chaîne de fabrication de l’animation sont donc concernées : designer graphique, storyboarder, layoutman, décorateur, animateur 2D et 3D, compositeur.
Gobelins illustre par l’exemple l’une des clés d’une formation efficace : un recrutement initial exigeant des étudiants, assis sur un concours difficile, comprenant des épreuves écrites et orales et la présentation d’un dossier graphique personnel. Les principaux pré-requis sont un fort niveau en dessin, enrichi d’une bonne culture artistique, graphique et cinématographique.
Le nombre des candidats au concours a longtemps avoisiné les 800 ; il tend aujourd’hui à diminuer: autour de 560 en 2007 et de 480 en 2008. Ce phénomène s’explique par l’émergence d’autres formations, plus accessibles, et n’indique pas de réelle perte de prestige de Gobelins. Le concours reste extrêmement sélectif, au point qu’il n’est guère envisageable de le présenter sans avoir suivi auparavant une – voire deux – années de préparation dans un autre établissement. Nous verrons que certaines autres écoles d’animation figurent parmi les bonnes préparations au concours de Gobelins.
La sélectivité du concours d’entrée oblige à relativiser la perception que l’on peut avoir de la durée et du niveau des études. “Officiellement”, nous l’avons vu, Gobelins est une formation de niveau bac + 3. Dans les faits, il serait plus juste de dire que c’est une formation de niveau bac + 5. On trouve ici un premier indice d’une réalité sur laquelle nous serons amenés à revenir : pour le secteur
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de l’animation, les éléments d’“affichage” – durée, intitulés, éventuelles “reconnaissances” officielles – sont de peu de poids relativement au critère empirique de la mesure des compétences individuelles dans une situation de production réelle.
On notera qu’il est possible d’intégrer cette formation en troisième année, soit avec un niveau théorique bac + 2, soit après une expérience professionnelle. Cette opportunité est ouverte à un faible contingent de 5 personnes, recrutées après succès à un concours spécifique qui détermine si le candidat a un niveau comparable à celui des élèves ayant suivi les enseignements des deux premières années. Eu égard à l’organisation interne du cursus pédagogique, les débouchés ouverts aux étudiants intégrant en troisième année sont spécifiques : animateur 3D, infographiste rendu et éclairage, directeur et opérateur de compositing.
Au regret des responsables de Gobelins, qui souhaiteraient pouvoir l’étendre à 10 personnes, cette possibilité demeure rarement utilisée : 2 étudiants seulement ont intégré l’école par cette voie l’an dernier.
La fin des études est sanctionnée par le passage des étudiants devant un jury, constitué d’une dizaine de jurés et, depuis 2007, d’auditeurs. Ils présentent leurs films de fin d’étude (un autre film a déjà été réalisé en deuxième année), réalisés en équipe, en spécifiant la nature de leurs interventions personnelles, et leurs exercices individuels, qui comptent pour le pourcentage le plus important dans la note finale.
Gobelins Ecole de l’image pratique un suivi de ses anciens étudiants, qui lui permet d’avancer, pour la formation Conception et réalisation de films d’animation, un taux de placement de 95 % dans les mois qui suivent immédiatement la fin de la scolarité. Soit un taux supérieur au taux moyen de ses différentes formations, de l’ordre de 90 %.
Si soucieux que l’on soit, à Gobelins, de promouvoir la polyvalence des
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étudiants, la marque de fabrique de l’école reste l’excellence en animation – le cœur du métier – et même spécifiquement l’excellence en animation de personnages. Ce choix stratégique signifie concrètement que le débouché “naturel” des étudiants est celui du long métrage, secteur dont les exigences esthétiques sont en principe les plus élevées en ce qu’il réclame non seulement la maîtrise de la représentation du mouvement, mais encore l’aptitude à exprimer l’émotion. Conséquence évidente : toutes les entreprises intéressées par le développement de longs métrages d’animation s’intéressent aux étudiants des Gobelins, et notamment les plus puissantes d’entre elles, les studios américains et les studios anglais d’animation et d’effets visuels. On les trouve donc massivement présentes aux jurys de fin d’études. DreamWorks Animation, Passion Pictures, Framestore, Aardman Animation, figurent parmi les habitués ; Pixar était cette année présent au jury pour la première fois. Le développement, ces dernières années, du long métrage d’animation au niveau international, ses succès commerciaux, sa course à l’excellence technico-artistique, ont fait de l’animateur des Gobelins une espèce professionnelle particulièrement recherchée sur le marché du travail. L’industrie française a également un besoin croissant – et parfois pressant – d’animateurs, parce qu’elle voit dans le long métrage un relais de croissance stratégique, mais aussi parce que les dispositifs d’aide mis en place par les pouvoirs publics incitent à traiter en France davantage de travaux d’animation pour les séries TV. Mais les entreprises françaises, nous reviendrons sur ce point, peinent à rivaliser en termes d’attractivité des projets comme de niveaux de rémunération.
Ce point n’est pas sans affecter sensiblement la perception de Gobelins par le milieu professionnel français. Certains chiffres sont parlants : en 2006 et 2007, plus d’un tiers des étudiants des Gobelins ont été recrutés à l’étranger dès la fin de leurs études. Il se dit même que certains étudiants reçoivent des propositions
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d’embauche dès avant le jury de fin d’année. Des anecdotes circulent5, illustrant le poids déterminant – et parfois les pratiques arrogantes – des studios américains et anglais. Corollairement, on interprète ici ou là l’effort de promotion internationale engagé par Gobelins, dont témoigne la création d’un poste spécifique, comme la manifestation d’une préférence stratégique donnée à l’industrie anglo-américaine. En clair, le dépit est perceptible chez plusieurs studios français que nous avons rencontrés : certains disent avoir renoncé à participer aux jurys et se tourner désormais vers d’autres écoles, d’autres s’indignent de “payer les formations des studios américains”. Nous reviendrons dans le chapitre suivant sur la question de la fuite des talents. A ce stade, et s’agissant seulement de Gobelins, nous nous en tiendrons à signaler une insatisfaction manifeste, qui incrimine moins les concurrents étrangers que l’école elle-même, soupçonnée de dédain vis-à-vis des studios français et de complaisance pour les studios anglo-américains plus riches et plus prestigieux. On se souviendra qu’il s’agit là d’un reproche récurrent : le même était formulé il y a quelques années, mettant en cause des liens jugés trop étroits avec le studio Disney alors implanté à Montreuil. Les responsables de l’école, bien sûr, en contestent le bien fondé, et dégagent toute responsabilité dans le processus d’embauche d’un étudiant par une société quelle qu’elle soit. Ils mettent également en avant des liens réguliers avec le milieu français: un fort pourcentage (de l’ordre de 80 % en 3e année) d’intervenants issus du monde professionnel ; la tenue annuelle d’un conseil de perfectionnement où siègent des professionnels, de même qu’à l’oral du jury d’admission, aux jurys intermédiaires et au jury final. Enfin, ils regrettent un manque de dialogue avec les studios français, qui se tourneraient insuffisamment vers l’école pour lui exprimer leurs attentes et besoins.
5 Tel studio britannique aurait invité la totalité d’une promotion pendant une semaine à Londres pour visiter ses installations. Tel représentant d’un studio californien, pendant un jury, aurait systématiquement glissé sa carte de visite dans les dossiers des étudiants qui l’intéressaient..12
La présence massive des studios étrangers et les difficultés subséquentes des studios français à séduire les étudiants de Gobelins sont certes une forme de “rançon du succès”. Il va de soi que la question ne ferait pas débat si l’école était jugée médiocre. On aurait tort cependant, à notre sens, de n’y voir qu’un épiphénomène et d’interpréter comme un simple prurit psychologique ce qui relève en fait d’une inquiétude légitime sur les défis qualitatifs à relever par l’industrie française.
B. Gestion de production audiovisuelle
En partenariat avec l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Gobelins prépare depuis 2004 à une Licence professionnelle Gestion de production audiovisuelle (animation, cinéma et vidéo). Elle est accessible à 20 étudiants de niveau bac + 2 en communication visuelle ou audiovisuelle, cinéma, gestion ou management, ou à des personnes pouvant faire état d’une expérience professionnelle préalable ; elle est également ouverte au titre de la formation continue ou en contrat d’apprentissage. La sélection s’effectue sur dossier et après entretien oral. La formation dure 1 an et indique comme débouchés les postes de : chargé de production, superviseur, administrateur de production, responsable de postproduction.
L’implication de Gobelins dans cette licence professionnelle a eu pour conséquence un accent plus fort mis sur l’animation plutôt que sur le cinéma et la vidéo. On assisterait aujourd’hui à un rééquilibrage. L’opportunité d’une formation à la gestion de production pour l’animation ne fait pas débat dans le milieu professionnel. Nous verrons plus loin, dans le chapitre sur la situation de l’emploi, que le secteur exprime un fort déficit de compétences en la matière. Pour autant, cette licence professionnelle fait l’objet d’appréciations contrastées : si certains studios l’apprécient, d’autres la jugent insatisfaisante, faute de prendre suffisamment en compte la diversité et la
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complexité des compétences qui doivent être celles d’un gestionnaire de production ; d’autres enfin, plus curieusement, déclarent ignorer son existence. Gobelins annonce un taux d’embauche satisfaisant (87,5 %), tous secteurs confondus.
Supinfocom Valenciennes www.supinfocom.net/ L’école fondée et dirigée par Marie-Anne Fontenier a fêté en 2008 ses 20 ans. Elle est, comme Gobelins, une école consulaire. Comme Gobelins encore, elle jouit d’une excellente réputation nationale et internationale, qui a poussé sa tutelle, la CCI de Valenciennes, à développer une politique de franchisation de la “marque” Supinfocom, illustrée par la création de Supinfocom Arles en 2000, puis par celle de Supinfocom Pune, en Inde, à l’automne 2008. On croit comprendre que d’autres territoires pourraient être prospectés. Les concours d’entrée et les jurys de fin d’études, de même que le contenu pédagogique, sont communs aux deux sites de Valenciennes et d’Arles. Supinfocom délivre un diplôme de niveau 16, reconnu par l’Etat, de réalisateur numérique. La formation s’articule sur deux cycles : un cycle préparatoire de deux ans, accessible sur concours à des étudiants de niveau bac ; un cycle supérieur – de deux ans jusqu’à cette année, désormais de trois ans – ouvert aux étudiants du cycle préparatoire, mais également intégrable sur concours par des étudiants de niveau bac + 2 ou pouvant faire état d’une expérience professionnelle préalable. Le concours d’entrée, à chaque niveau, est difficile : environ 400 candidats pour environ 70 places pour l’entrée en cycle préparatoire ; environ 300 candidats pour une trentaine de places pour l’entrée en cycle supérieur. L’origine des étudiants se répartit comme suit : en cycle préparatoire, une majorité d’étudiants sont titulaires d’un baccalauréat général, certains d’un Bac STI Arts Appliqués. Pour les entrées en troisième année, on
6 cf. 2.3. Diplômes, titres, certificats
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remarque des étudiants venus d’un DMA Animation (Ecole Estienne), d’un BTS, de différentes “prépas” provinciales (Toulouse, Angers, Lyon, Bayonne) ou d’une licence.
La scolarité est sanctionnée par un film de fin d’études, réalisé en équipes de 3, 4 ou 5 étudiants, soumis à un jury d’une vingtaine de professionnels extérieurs qui le notent. Supinfocom Valenciennes produit des promotions de 40 à 45 nouveaux diplômés chaque année. Le passage à cinq ans, cette année, de la durée des études a pour conséquence évidente qu’il n’y aura pas de promotion 2009 de Supinfocom.
Le prix de la scolarité est de 5600 €/an pour le cycle préparatoire, de 6676 €/an pour le cycle supérieur.
Supinfocom Valenciennes est, selon les professionnels du secteur de l’animation, une incontestable réussite. L’école a d’abord efficacement accompagné le développement de la 3D en France, fournissant un contingent de jeunes professionnels talentueux aux sociétés pionnières du moment, actives dans les secteurs des effets numériques pour la publicité et le long métrage et de l’animation : Fantôme, Buf Compagnie, Mac Guff Ligne, Duran-Duboi, etc. Elle a su ensuite suivre les évolutions techniques et esthétiques et apporter sa pierre à la consolidation et à la maturation de cette jeune industrie, en même temps qu’elle gagnait une crédibilité forte auprès des acteurs internationaux, de façon concomitante au développement du marché. Des possibilités de représentation toujours plus riches et complexes sont en effet apparues, illustrées par un nombre croissant de films publicitaires (laboratoire efficace des avancées technologiques), de longs métrages en vues réelles aux effets visuels spectaculaires, bientôt de longs métrages d’animation plus exigeants et ambitieux. Les jurys de fin d’année de Supinfocom sont devenus rapidement un rendez-vous obligé de l’industrie internationale, qui vient découvrir les films de
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fin d’études de la nouvelle promotion. Car Supinfocom a donné au genre du film de fin d’études une ampleur inédite, proposant année après année un éventail de courts métrages dont la maîtrise et le professionnalisme surprennent, venant d’étudiants. Des productions telles que Tim Tom ou Overtime, pour ne citer que ces deux exemples, sont et resteront des œuvres accomplies, inscrites au patrimoine de l’animation. La mécanique est désormais bien rôdée et fonctionne efficacement ; au dernier jury, le gotha international de l’animation et des effets visuels numériques était de nouveau présent: DreamWorks Animation, Framestore, Aardman Animation, Passion Pictures, Studio Aka, Nexus Productions, Double Negative..., mais aussi toutes les entreprises françaises du secteur. La fonction des films de fin d’études ne se limite pas à l’obtention du diplôme par leurs auteurs et à leur embauche. Supinfocom est aussi devenue une machine à remporter des prix dans les festivals (au point parfois d’indisposer certains réalisateurs chevronnés, qui n’ont pas nécessairement à leur disposition des moyens comparables). Cette politique constante a grandement contribué à la notoriété de l’école, devenant un vecteur privilégié de sa communication. Ces succès ont d’ailleurs incité d’autres écoles à suivre la même voie, à couronner la fin des études par un court métrage et à s’engager dans la course aux festivals. On peut estimer qu’il s’est établi aujourd’hui une sorte de “modèle Supinfocom”, visant à suggérer une forme d’adéquation entre la pertinence de la formation et l’obtention de prix. Sans méconnaître les bienfaits pédagogiques du film de fin d’études, que nous détaillerons, ainsi que leurs limites, dans le prochain chapitre, il convient à notre sens de défendre la non moindre pertinence de pratiques différentes, qui ne posent pas systématiquement le film de fin d’études en pierre de touche de la qualité d’une formation.
Il n’est pas contesté par les professionnels du secteur que Supinfocom répond adéquatement à sa vocation professionnalisante : les jeunes diplômés sont plus que favorablement considérés par les entreprises qui se livrent à une vive concurrence pour embaucher ceux qui sont jugés les meilleurs. Les deux sites
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français annoncent un taux de placement dans les mois qui suivent le diplôme de 98 %. Se produit pour Supinfocom ce que nous avons déjà relevé pour Gobelins : les studios anglais et américains, forts des productions prestigieuses qu’ils traitent et des rémunérations élevées qu’ils peuvent proposer, séduisent un fort pourcentage d’étudiants. Quelque 40 % des promotions 2006 et 2007 ont été embauchés aux Etats-Unis et au Royaume-Uni dès leur sortie de l’école. La promotion 2008 semblait devoir être recrutée sur des bases comparables à l’époque du jury, mais les chiffres seront peut-être moins élevés à cause d’un possible ralentissement de l’activité lié aux incertitudes économiques actuelles. Ce succès international produit en France les mêmes effets que celui de Gobelins, peut-être cependant avec une moindre acrimonie. La frustration est néanmoins explicite de voir s’expatrier immédiatement des talents dont l’industrie française aurait besoin.
Une critique récurrente tient à l’intitulé du diplôme : “réalisateur numérique”. Le milieu professionnel considère majoritairement que Supinfocom produit de bons – voire de très bons – techniciens infographistes en modélisation, éclairage, textures, rendu (l’animation, stricto sensu, ne passant pas pour le point fort de l’école). C’est pour cela que Supinfocom est généralement appréciée et citée en exemple. Mais la même unanimité se fait pour proclamer que l’on ne saurait être réalisateur au sortir de l’école, si talentueux que l’on soit et quand bien même on aurait collaboré à un bon film de fin d’études. En clair, l’intitulé du diplôme n’est pas jugé traduire adéquatement la réalité de la formation.
L’allongement de la scolarité de 4 à 5 ans suscite au moins de la perplexité. Après tout, pourquoi modifier un dispositif qui, pendant 20 ans, a donné satisfaction ? On peut certes comprendre le désir des pédagogues, qui est tout à leur honneur, d’enrichir les contenus de formation, de disposer de plus de temps pour transmettre des connaissances et des savoir-faire qui, c’est vrai, tendent à devenir toujours plus complexes et plus ramifiés sous l’effet d’un
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développement technico-scientifique permanent. “Muscler” la pratique de l’animation peut également être un objectif légitime pour Supinfocom. En regard, ajouter à une charge financière déjà lourde pour les familles le coût d’une année supplémentaire n’est pas une décision neutre. On peut aussi douter que la totalité d’une promotion - soit quelque 90 étudiants, si on ajoute les effectifs des deux sites français – rassemble les aptitudes nécessaires à prétendre à l’excellence ici visée. Or, le niveau dispositif ne prévoit pas une “sortie” possible, sanctionnée par un diplôme intermédiaire, après 3 ans d’études. Plusieurs professionnels parmi ceux que nous avons rencontrés considèrent qu’une bonne école, s’appuyant sur une sélection initiale rigoureuse, doit pouvoir former en 3 ans des techniciens très aguerris. On peut dès lors estimer qu’un dispositif à deux étages ferait sens, formant en 3 ans des techniciens généralistes, et réservant les deux dernières années soit à un travail d’auteur, soit à des spécialisations pointues. Il aurait de surcroît le mérite de mettre Supinfocom en conformité avec le “processus de Bologne”, qui organise depuis 1999 les études supérieures en Europe sur le modèle LMD (licence, master, doctorat) en 3, 5 et 7 ans.
Cette solution aurait certainement demandé une refonte de la division entre cycle préparatoire de deux ans et cycle supérieur, de trois ans désormais. L’école a préféré s’en dispenser mais, de ce fait, l’allongement du cursus à cinq ans perd en lisibilité.
Supinfocom Arles
www.supinfocom-arles.fr/
Les deux sites étant organisés de façon identique, ce qui a été dit au paragraphe précédent s’applique tout autant à Supinfocom Arles. Seule différence entre les deux écoles, évidemment, l’équipe pédagogique. Il est donc à porter au crédit de celle-ci – et de sa directrice Anne Brotot – d’avoir, en peu d’années, réussi à hisser le site d’Arles au degré d’efficacité atteint par celui de Valenciennes.
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Mieux même, Supinfocom Arles est parvenue, tout en respectant les “fondamentaux” édictés par Valenciennes, à créer son identité propre, à imposer une “patte”. La réussite n’est pas mince et n’avait rien d’évident. Du point de vue de l’accès à l’emploi, le milieu professionnel n’établit aucune hiérarchie entre les deux écoles.
Le groupe Supinfocom
Créé en 2008, il rassemble quatre écoles de création numérique gérées par la CCI de Valenciennes : Supinfocom, Supinfogame (structure créée par Supinfocom en 2001 pour former aux métiers du Jeu vidéo), l’Institut Supérieur de Design (ISD), l’Institut Informatique et Entreprise.
Depuis cet automne, le groupe Supinfocom a créé en Inde, à Pune (près de Bombay/Mumbaï) un campus sur lequel figurent les trois écoles Supinfocom, Supinfogame et ISD. A l’origine, des investisseurs indiens désireux de créer un campus (dans le contexte d’un vaste projet immobilier) dédié aux formations numériques pour les industries de l’entertainment et du design, ont confié une étude de marché à une structure anglo-indienne, Palmforce, laquelle a conclu à l’excellence du “produit” Supinfocom. Un contrat de franchise a ensuite été signé entre le groupe Supinfocom et DSK Infotech, société indienne spécialisée dans le numérique (formation et développement informatique). L’école comme sa tutelle y ont vu un axe stratégique de développement international, justifié par les points suivants :
- une formation dispensée en anglais permettra de répondre à des demandes d’étudiants non francophones qu’il n’était pas possible de satisfaire ; - le marché intérieur indien est en fort développement et souffre d’une pénurie de compétences ;
- des studios américains (Rythm’n Hues, DreamWorks Animation) implantés en Inde expriment des besoins en cadres pour leurs studios.
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Le campus de Pune est, pour cette année, en phase d’initialisation : les effectifs ne sont que de 50 étudiants seulement pour les 3 écoles ; ils devraient passer à 300 dès l’année prochaine, pour atteindre les 800 en pleine capacité. Le diplôme délivré le sera selon les mêmes modalités, avec les mêmes contenus, le même intitulé, la même valeur théorique, que le diplôme français.
Cette initiative, qui affiche donc des ambitions élevées, n’est pas sans susciter des réactions dans le milieu professionnel français : des interrogations, pour le moins, voire un certain malaise, qui contrastent avec l’enthousiasme, dont nous avons été témoin, des sociétés américaines intéressées.
Tout d’abord, il semble illusoire de penser que les premières promotions de Pune atteindront d’emblée le niveau des promotions des sites français, essentiellement parce que le recrutement initial des étudiants ne pourra certainement pas être aussi sélectif. Par ailleurs, on aurait tort de sous-estimer le poids de déterminations culturelles qui ne manqueront pas d’affecter les conditions d’exercice de la pédagogie, quelle que soit la compétence des équipes enseignantes. Il y a donc à craindre, puisque les diplômes sont annoncés comme équivalents, une certaine dévalorisation de ceux de Valenciennes et Arles. Ce ne serait pas le premier exemple d’une stratégie de développement de marque qui aboutirait à dénaturer le produit originel.
Ensuite, la question peut se poser de l’opportunité d’une initiative dont la finalité – explicite ou non – est de fournir à des studios étrangers une main d’œuvre bon marché qui les mettrait en position de concurrencer, relativement aux coûts de fabrication, les entreprises françaises. L’argument selon lequel lesdites compétences seraient réservées au marché domestique indien n’a guère de consistance quand on relève, d’une part, l’intérêt déjà mentionné des studios américains implantés en Inde pour cette initiative, et, d’autre part, le nombre et l’importance des interventions dans des coproductions internationales d’opérateurs indiens, ainsi que, de plus en plus souvent, des prises de participation capitalistiques dans des entreprises occidentales.
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1.2. Huit écoles professionnalisantes reconnues par le secteur
Nous présenterons dans les paragraphes suivants huit écoles à vocation clairement professionnalisante pour le secteur particulier de l’animation, qui bénéficient d’une crédibilité forte et maintes fois affirmée dans le milieu professionnel. Prévenons d’abord toute mésinterprétation en précisant que l’ordre de cette présentation ne suppose aucune hiérarchie entre ces écoles quant à la qualité de leur pédagogie. L’exercice serait d’ailleurs gratuit puisqu’il comparerait des formations qui, pour l’essentiel, ne sont pas comparables, n’ayant éventuellement ni les mêmes niveaux de recrutement initial, ni les mêmes visées en termes de débouchés. Certaines peuvent même apparaître comme des préparations à d’autres, comme nous le verrons. De la même façon, nous ne les avons distinguées de Gobelins et de Supinfocom qu’en considération du caractère plus national (mais non, pour certaines, exclusivement national) de leur reconnaissance.
L’ESAAT
www.esaat-roubaix.com/
L’Ecole supérieure des Arts Appliqués et du Textile (ESAAT) de Roubaix délivre en deux ans un Diplôme des Métiers d’Art (DMA) en cinéma d’animation. Elle est donc placée sous tutelle du ministère de l’Education nationale. Ce DMA7 existe depuis 1998, date à laquelle il a pris la suite d’un Brevet de technicien dessinateur maquettiste, option dessin animé, dont la finalité était de former pour le secteur des “petites mains”.
7 L’Ecole Estienne et l’Institut Sainte-Geneviève, à Paris, délivrent chacun, également, un DMA cinéma d’animation, sur lesquels nous reviendrons. A la rentrée 2008, le Lycée Marie Curie, à Marseille, a ouvert une quatrième formation, pour une douzaine d’étudiants, délivrant ce diplôme. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une concertation préalable. Si les contenus des différents DMA cinéma d’animation sont supposés identiques, les pédagogies diffèrent.
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La formation, gratuite, est ouverte à des titulaires du baccalauréat général, sous réserve qu’ils suivent une année de mise à niveau en arts appliqués, ou, directement, aux titulaires d’un bac STI Art appliqués. Elle compte quinze étudiants par année, sélectionnés par un jury, sur consultation du dossier scolaire et d’un dossier graphique. On a pu reprocher à l’E SAA T, à ses débuts, une certaine hétérogénéité de niveaux, expliquée par une sélection initiale insuffisamment exigeante. La notoriété de l’école fait aujourd’hui qu’une sélection peut s’opérer parmi des candidats suffisamment nombreux, et le reproche n’a plus cours.
L’enseignement est de 36 heures/semaine, dont 22 heures réservées aux contenus professionnels, le reste étant réparti entre culture artistique et matières générales (anglais, français, gestion). Des stages de six semaines interviennent en fin de première année. On notera qu’ils sont désormais plus difficiles à trouver du fait de l’inflation des écoles. Le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) définit ainsi les compétences que le DMA doit permettre d’acquérir :
- Procéder au graphisme modélisation 2D et modélisation 3D - Participer à l’élaboration du scénarimage (storyboard) - Participer à la préparation à la fabrication (layout) - Participer à l’animation 2D/3D
- Contribuer à la création des décors 2D/3D - Participer aux vérifications (checking) - Elaboration de l’intégration numérique (banc-titre).
On aura compris que le DMA vise à la polyvalence et doit permettre à ses titulaires, de niveau bac + 2, d’exercer des responsabilités tout au long de la chaîne de fabrication... L’ESAAT atteint cet objectif et sa perception par le milieu professionnel est clairement positive. L’école garde le contact avec une
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moitié environ des 125 “anciens”, notamment via le site Internet Fous d’anim (par ailleurs fort utile), que ses responsables ont créé. Il n’est donc pas exagéré d’avancer qu’en dix années, l’ESAAT s’est imposée comme l’une des formations de référence. Quelques insatisfactions pointent cependant ici et là.
La pénurie de moyens est un mal endémique dans l’Education nationale. Selon l’euphémisme courant, on y travaille “à moyens constants” : faire intervenir davantage de professionnels extérieurs, par exemple, pourrait être opportun. La question de la durée du cursus peut également être posée : une troisième année se justifierait sans doute, qui permettrait entre autres de mieux prendre en compte la diversité nouvelle des supports, de consacrer le temps nécessaire au film de fin d’études, de développer les rapports avec les studios.
Nous reviendrons dans la chapitre suivant sur la question de la durée des cursus. S’agissant spécifiquement de l’ESAAT, on peut d’ores et déjà estimer que la qualité du travail réalisé jusqu’à présent légitimerait une extension à trois ans, l’alignement sur les recommandations européennes constituant un argument supplémentaire. Cela semble aujourd’hui peu probable: la tendance dans l’Education nationale n’est pas à l’augmentation des dépenses.
De fait, un nombre croissant d’élèves, au dire des responsables, tend à vouloir compléter ailleurs leur formation : Gobelins, Supinfocom, la Poudrière, sont cités, mais aussi l’EMCA comme destinations choisies par certains titulaires du DMA de l’ESAAT.
L’EMCA
www.angouleme-emca.fr/
Créée en 1999 à l’issue d’une étude d’opportunité, l’Ecole des métiers du cinéma d’animation (EMCA) s’inscit dans ue logique d’aménagement territorial portée par les collectivités : la constitution d’un bassin industriel d’entreprises de l’image à Angoulême.
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Elle a été jusqu’à la rentrée scolaire 2008 une formation de deux ans à l’animation 2D, pour des promotions de 18 étudiants, pouvant éventuellement se prolonger en une spécialisation 3D d’une année (pour 16 étudiants au maximum, souvent moins), baptisée Ecole des métiers de la création infographique (EMCI). Si l’EMCA a très rapidement conquis sa légitimité, l’EMCI a certainement souffert d’une lisibilité incertaine.
L’EMCA a donc mis en place cette année un nouveau cursus de trois ans, selon le dispositif suivant : une première année de tronc commun 2D/3D pour 40 étudiants, suivie de deux années de spécialisation – 2D ou 3D – accueillant vingt étudiants dans chaque département. L’EMCI disparaît en tant que telle et devient le département 3D du nouveau cursus. L’EMCA a obtenu auprès du RNCP une d'inscription du titre Assistant-réalisateur de cinéma d'animation Niveau II pour son cursus de trois ans. Ce titre pourra également être accessible par la VAE (validation des acquits de l’expérience). Signalons encore que l'ensemble des formations, initiales et continues, ont obtenu la certification ISO 9001 depuis 2007.
Comme Gobelins et Supinfocom, l’EMCA est une école consulaire. Le recrutement s’effectue sur concours ; le coût de la scolarité est l’un des moins élevés en France : 3500 €/an. L’EMCA a été créée avec un objectif clair de professionnalisation des étudiants. ll s’est agi d’emblée de former aux métiers techniques de l’animation. Telle était en effet la demande du milieu professionnel telle que l’étude d’opportunité initiale l’avait recueillie et formulée. Depuis la sortie des premières promotions jusqu’à aujourd’hui, l’EMCA n’a pas failli à sa mission et c’est l’une des écoles françaises à propos de laquelle un consensus s’est établi : la plupart des studios s’accordent pour reconnaître la qualité de la formation technique ainsi que l’excellent esprit des jeunes diplômés ; certains soulignent plus particulièrement deux éléments : la qualité du travail d’animation et l’ouverture à la culture
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numérique. C’est, de fait, une combinaison de première importance pour les sociétés qui entendent profiter au mieux des incitations des pouvoirs publics à (re)localiser du travail, et pour lesquelles les logiciels Flash, After Effects ou Harmony sont des outils incontournables.
Les bémols – il y en a – ne mettent pas en cause l’école directement, mais certains de ses étudiants, qui ne profitent pas autant qu’espéré des bienfaits de cette formation. Les principaux reproches entendus portent donc sur d’occasionnelles disparités de niveau dans une même promotion. L’EMCA a jusqu’ici revendiqué une pédagogie de la responsabilité individuelle et un appel à développer avant tout l’originalité et le talent créatif. Au risque que certains étudiants se complaisent dans un narcissisme quelque peu paresseux. Les résultats d’ensemble ont jusqu’ici été suffisamment satisfaisants pour que ce risque demeure maîtrisé. Cependant, les responsables de l’école sont bien conscients que l’allongement à trois ans du cursus et l’augmentation des effectifs vont imposer la fin de certaines indulgences et un retour des obligations et des contraintes, concernant notamment l’assiduité et le respect des calendriers pédagogiques.
Il faudra certes juger sur pièces lorsque les premières promotions issues du nouveau cursus apparaîtront sur le marché du travail, soit en juin 2011. Mais il est d’ores et déjà possible d’avancer que l’allongement à trois ans correspond à des évolutions objectives : évolution des techniques, diversification des outils, exigences artistiques supérieures ; de même le principe d’une année de tronc commun ouvrant sur deux années de spécialisation 2D et 3D fait tout à fait sens. Pour l’heure, l’insertion professionnelle des étudiants atteint un degré élevé. Mesuré en octobre 2008 par l’école, toutes promotions confondues (soit quelque 220 anciens étudiants ayant répondu à 85%), le taux de placement global sur les 10 dernières années est de 92%, décomposé ainsi : 45% à Angoulême, 25% à Paris, 9% en régions, 9% à l'étranger (Irlande, Angleterre, Japon, Danemark...). Il faut aussi signaler que l’EMCA est pour certains étudiants une étape vers
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d’autres formations : la Poudrière (cf. infra) ou, moins souvent, Gobelins : ainsi, 7% des étudiants ont poursuivi ailleurs leurs études (1% ayant quitté le secteur de l’animation).
La Poudrière
www.poudriere.eu/fr/
Créée en 1999 à Valence, l’école de la Poudrière jouit désormais d’une réputation d’excellence difficilement contestable. Association à but non lucratif, la Poudrière a le double statut d’établissement d’enseignement supérieur privé et de centre de formation professionnelle continue. Elle est financièrement soutenue par des partenaires publics et privés, dont : la DRAC de Rhône-Alpes, le Conseil Régional Rhône-Alpes, le Conseil Général de la Drôme, la Ville de Valence et Valence Major (Syndicat Intercommunal de l’Agglomération de Valence), la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Drôme, le programme Media de l’Union Européenne, les chaînes de télévision Arte, Canal + et Canal J, la Procirep, les sociétés d’auteurs SACD et SACEM et l’Afdas. Ce soutien explique que les coûts d’inscription en formation initiale ne soient que de 1000 €/an. La formation est également accessible aux professionnels en congé individuel de formation et aux demandeurs d'emploi.
La Poudrière a obtenu en avril 2006 la reconnaissance de l’Etat, et tout récemment une certification du RNCP de niveau I.
Elle se définit comme une école de réalisation, ouverte à des étudiants ayant déjà une formation initiale en animation ou à des professionnels en activité souhaitant compléter ou adapter leurs compétences8. Ceci suppose qu’on n’intègre la Poudrière qu’après une autre formation préalable, de caractère plus technique, ou en pouvant déjà faire état d’une expérience professionnelle. L’école est donc
8 Très occasionnellement à des autodidactes.
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complémentaire d’autres écoles et formations existantes pour des étudiants souhaitant couronner une formation technique par une formation à la réalisation. Selon les responsables de la Poudrière, les formations d’origine de leurs étudiants sont les suivantes : Ecoles formant aux métiers de l’animation : EMCA Angoulême et Ecole Supérieure de l’Image, Angoulême, DMA de Roubaix et de Paris (Sainte-Geneviève), BTS de dessin d’animation, Lycée Technique des Arts et Métiers du Luxembourg ; écoles d’art ou d’arts appliqués avec une spécialisation animation et/ou illustration : Ecole Emile Cohl, Beaux-Arts (Saint- Etienne, Epinal, Roubaix), Ecole des Arts de la Décoration de Strasbourg, Ecoles des Beaux-Arts, option design graphique ; cycle universitaire : filière cinématographie et filmographie, arts du spectacle et communication ; écoles techniques de communication visuelle et d’arts appliqués.”
Le cursus est de deux ans à temps plein (2400 heures). Chaque promotion réunit une dizaine d’étudiants, dont quelques-uns sont des stagiaires de la formation professionnelle continue. L’école tenant à pratiquer un suivi individuel des étudiants, aucune augmentation des effectifs n’est envisagée.
La sélection des candidats est organisée en deux temps : présélection sur dossier ; sélection sur épreuves et entretien. La pédagogie fait exclusivement appel à des formateurs qui sont des professionnels de l’animation et qui représentent le marché de l’audiovisuel (série TV, publicité) comme celui du cinéma (court et long métrage).
Revendiquant sa vocation professionnalisante, la formation s’achève systématiquement sur la réalisation de travaux terminés (courts métrages et films de commande) et/ou sur la présentation devant un jury des projets développés (scénario et concept de série TV).
On pourrait craindre qu’une “formation à la réalisation” ne constitue qu’une sorte d’hyperbole destinée avant tout à l’auto-promotion dans un univers très concurrentiel, puisqu’il est généralement admis qu’on ne saurait être réalisateur
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au sortir de l’école. Or, les responsables de l’école ne s’abusent pas sur les attentes du secteur et ne “survendent” pas leur formation : “Le métier visé est réalisateur de film d’animation. Il s’agit d’un métier complexe, qui requiert à la fois des compétences artistiques, techniques et organisationnelles. L’accession à un poste de réalisateur, notamment pour des projets industriels de type long- métrage ou série TV, est l’aboutissement d’un parcours jalonné de formations, d’expériences professionnelles et de réalisations de projets. Il est donc important de différencier les premières fonctions occupées par les titulaires de la formation de celles exercées après plusieurs années d’activité professionnelle.”
De fait, après quelques incertitudes initiales, la Poudrière a su prendre pleinement en compte les attentes du secteur et inscrire sa démarche dans le concret d’une activité économique. En témoignent : l’attention portée tout au long du cursus à la notion de respect d’un cahier des charges ; aux problématiques spécifiques de l’adaptation d’ouvrages préexistants à la série d’animation ; l’insistance sur les réalités du travail en équipe et l’exigence de réaliser les films des étudiants dans un cadre budgétaire conforme aux conditions du marché européen (incluant par conséquent la compréhension et la maîtrise des choix techniques induits) ; plus globalement, le développement de partenariats avec des acteurs économiques et institutionnels du secteur (éditeurs, chaînes de télévision, sociétés d’auteurs, SPFA) et la participation à des événements professionnels (Forum Cartoon de la coproduction, notamment). De fait, la Poudrière échappe aux principaux reproches récurrents adressés par les entreprises à certaines formations, accusées d’entretenir chez leurs étudiants tout à la fois une hypertrophie de l’ego et une conception solipsiste de la création. La voie vers la réalisation, pour l’école, est ”la maîtrise globale du processus de production d’un film”. Ceci explique qu’un producteur français ait pu qualifier les étudiants de la Poudrière de “génialement polyvalents”.
Le point fort de la Poudrière est certainement de réussir à dispenser une formation qui combine l’intransigeance de ses objectifs de développement
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créatif et le respect des réalités professionnelles et économiques. Depuis deux à trois ans, cette réussite est directement mesurable en nombre de projets de toutes natures portés par des étudiants et qui accèdent au marché. 44 certifiés (sur 57) ont des projets en développement ou en production qui bénéficient de contributions financières de natures diverses : vingt courts métrages, trois longs métrages, huit séries TV et treize autres projets.
L’insertion professionnelle est un autre critère de l’efficacité de la formation :
“Le premier emploi des titulaires de la certification se situe généralement à des postes techniques mais déjà avec une dimension de responsabilité et d’autonomie. Les principaux employeurs sont des studios et sociétés de production français, majoritairement à Paris et en région Rhône-Alpes, qui proposent des postes dans l’animation mais aussi le layout, la mise en couleur, le compositing et les décors (...) Sur les 57 titulaires de la certification en activité, trois sont employés en contrat à durée indéterminée (contre un en 2005-2006), 49 en CDD, dont cinq en CDD d’au moins un an ; cinq exercent leur activité en freelance (...) Au cours de l’année 2006-2007, huit titulaires de la certification, soit 14 %, exercent ou ont exercé une activité professionnelle à l’étranger (Angleterre, Irlande, Espagne, Portugal et Estonie).”
On signalera enfin que les films de fin d’études de la Poudrière font très belle figure dans les festivals et que plusieurs d’entre eux ont été primés, certains à de nombreuses reprises9.
Ecole Georges Méliès
www.eesa.fr/
Association selon la loi de 1901, l’Ecole européenne supérieure d’animation a été créée en 1999 à Orly. Elle a pris récemment le nom d’Ecole Georges Méliès.
9 Un parmi d’autres, Benjamin Renner, lauréat du Cartoon d’Or 2008, pour « La Queue de la souris ».
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Elle délivrait jusqu’à présent en trois ans un certificat de fin d’études, et a demandé au RNCP la reconnaissance d’un titrede réalisateur numérique. Depuis la rentrée 2008, une année de préparation (pour 21 étudiants), baptisée l’Atelier Méliès, est consacrée à l’enseignement artistique. Le prix de la formation s’établit à 5000 € pour l’année de préparation, à 6000 € pour chacune des trois années suivantes. Les promotions sont de 25 étudiants en moyenne, pour un nombre de candidats environ quatre fois supérieur, qui se présentent à un concours articulé sur des épreuves écrites (technico-artistiques et de culture générale), la présentation d’un dossier personnel et un entretien. L’une des particularités de l’école est de ne pas demander de pré-requis formalisés. Toutes sortes de profils différents peuvent donc concourir ; la force d’une personnalité, l’intensité et la sincérité d’une motivation peuvent être des éléments déterminants du choix du jury.
L’Ecole Georges Méliès a pour ambition centrale de situer la maîtrise des techniques et outils numériques de représentation qu’elle veut transmettre dans la continuité des techniques de représentation artistiques traditionnelles. La connaissance des “fondamentaux” artistiques tient une place éminente dans l’enseignement : d’où la présence de professeurs des Beaux-Arts parmi l’équipe pédagogique, au côté des professionnels de la création numérique. L’objectif est de développer chez les étudiants un savoir-faire complet sur toute la (les) chaîne(s) de fabrication numérique. L’école forme des infographistes 3D, spécialisés en modélisation, setup, animation, rendu, et des infographistes 2D, spécialisés en animation, traitement d’image et compositing, trucage.
Pourquoi, dès lors, demander à délivrer un titre de réalisateur numérique ? On pourrait reprendre ici des remarques précédemment formulées à propos de Supinfocom : ce titre est hyperbolique et personne – ni la direction de l’école ni les studios - n’y attache une réelle importance. L’important est évidemment l’accueil des studios. Lors du dernier jury de fin d’études, toutes les entreprises françaises préoccupées de techniques de fabrication numériques étaient
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représentées ; il était symptomatique de constater en regard l’absence des sociétés étrangères. Comme si la présence massive des studios anglo-américains aux jurys de Gobelins et de Supinfocom créait un appel d’air pour les meilleures des autres formations françaises, du coup en excellente position pour nouer des liens solides et durables avec le milieu professionnel français. L’Ecole Georges Méliès peut avancer des statistiques flatteuses : 80% des étudiants trouvent du travail dans les trois mois qui suivent leur sortie de l’école ; sur les six promotions antérieures à 2008, le taux d’insertion professionnelle atteignait 95%. La dizaine d’entreprises qui composent le “gratin” de la 3D française figure parmi les références de l’école et les employeurs de ses jeunes diplômés. Forte de cette excellente insertion dans le milieu professionnel, l’Ecole Georges Méliès envisage d’amplifier son action de formation, en créant un cursus spécifique pour de jeunes ingénieurs informaticiens désireux de se spécialiser dans le secteur de la création numérique. Une telle formation dédiée au secteur n’existe pas aujourd’hui en France et elle répondrait, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, à un véritable besoin. Les studios ont besoin de “TDs” (technical directors) capables d’optimiser les pipelines de fabrication, et, en général, d’équipes de développeurs. C’est là une des faiblesses structurelles des studios français, par comparaison avec leurs concurrents anglais et américains et il est certain qu’une formation de cette nature aurait tout son sens. Sous condition d’approbation par le ministère, elle pourrait prendre la forme d’une licence professionnelle, délivrée en partenariat avec l’Université d’Evry, ceci dès la rentrée 2009.
Une autre voie de développement consiste en la création d’un Institut Méliès, qui ajouterait à l’Ecole une résidence pour plusieurs réalisateurs (d’animation, mais pas exclusivement) et un compositeur, placés dans des conditions optimales, non seulement pour développer leur création, mais encore pour en préparer au mieux l’accueil par le marché au travers d’une collaboration avec différents spécialistes du développement, de la distribution ou du marketing.
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Des formes originales d’insertion dans le tissu social local sont par ailleurs envisagées pour l’école et la résidence. Le soutien de la collectivité locale permet d’espérer la livraison pour la fin 2010 d’un nouveau bâtiment – spécialement conçu - pour l’Institut Méliès. Celui-ci pourrait ainsi devenir à la fois un lieu d’étude, de création et d’accueil au fort pouvoir structurant.
LISAA
www.lisaa.com/
L'Institut supérieur des arts appliqués (LISAA) est une école privée qui existe depuis 25 ans ; la spécialisation animation a vu le jour en 2000. Elle comprend aujourd'hui les filières animation 2D, animation 3D et Jeu vidéo, avec de 25 à 30 étudiants par année et par filière. Le cursus comprend une année préparatoire et deux années supérieures. L'inscription en année préparatoire coûte 5850 €, et 7430 € pour chacune des années supérieures.
Il s'est agi dans les premiers temps d'une formation généraliste aux métiers liés à l'animation 3D et à la visualisation 3D temps réel, dont les débouchés ont pu sembler embrasser un champ trop large (animation, visualisation, jeu vidéo, 3D temps réel). Ils ont été précisés et les débouchés sont désormais clairement définis comme ceux des industries de "l'entertainment" principalement, sans pour autant fermer les champs de la communication et de la visualisation. Depuis cette année, un troisième cycle optionnel de 16 mois est proposé, baptisé Master en gestion de production et animation numérique.
L'année préparatoire est accessible sur entretien, l'école exprimant le désir de laisser sa chance à chacun, quelle que soit sa scolarité antérieure, sous condition d'une mise à niveau en dessin. 80% des étudiants accèdent ensuite au cycle supérieur. Parmi les étudiants extérieurs qui postulent au cycle supérieur, certains ne sont acceptés qu'en année de préparation. Celle-ci est donc davantage conçue comme une première année, disent les responsables de LISAA.
Les études sont organisées selon un système strict de contrôle continu. Le cycle
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supérieur comprend quatre semestres, au cours desquels les étudiants ont l'occasion de travailler sur plusieurs projets successifs, dans des équipes différentes. L'émergence de la 2D numérique, prise en compte depuis 2004, a légitimé une filière 2D spécifique ; elle met particulièrement l'accent sur les étapes de préproduction et sur le compositing, mais le dessin et l'image, l'étude du mouvement, l'animation, restent au cœur de l'enseignement (comme dans les autres filières).
La filière 3D s'attache à développer les compétences sur tous les métiers de la chaîne. La fin des études est sanctionnée par un jury où siègent des professionnels extérieurs, à qui sont présentés des films de fin d'études réalisés en équipe, mais également des travaux et exercices individuels, de façon à rendre possible l'appréciation individuelle des compétences. Un stage obligatoire suit l'obtention du diplôme. Il est possible d'en effectuer plusieurs, éventuellement en cours de cursus. Les stages donnent lieu à un rapport.
Les filières animation du LISAA sont désormais bien identifiées par le milieu professionnel, et positivement citées. Signe révélateur, quelques "grands noms" de l'industrie, voire de l'industrie internationale (DreamWorks Animation, notamment), veulent être représentés au jury de fin d'année. Les trois filières revendiquent un taux d'insertion professionnelle de 90% dans les six mois suivant la sortie de l'école. Ce succès explique peut-être que LISAA soit surtout, semble-t-il, identifié comme une formation 3D, la filière 2D ne bénéficiant pas d'une reconnaissance comparable, même si elle ambitionne de la développer.
La création, cette année, du Master en gestion de production et animation numérique, constitue un développement nouveau. Il est ouvert à 17 étudiants cette année, à terme à vingt, issus des trois filières de LISAA (et plus tard, d'autres écoles), et il a vocation à être une passerelle entre l'école et l'entreprise. Il s'agit en l'espèce de réunir des profils variés pour élaborer en commun, en
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environ seize mois (deux semestres à l'école et le reste en stage), un projet de caractère professionnel. Le projet de cette année est celui d’un pilote de série, incluant bibles graphiques et littéraires, documents de communication ; il veut préparer aux enjeux de la gestion de production et de l'encadrement de projets.
Université de Paris VIII - ATI www-artweb.univ-paris8.fr/ati/ Le département Arts et technologies de l’image de l’Université de Paris VIII est certainement, avant même Supinfocom, la formation qui a accompagné le développement de la 3D en France depuis ses premiers balbutiements. Beaucoup des cadres des studios français de 3D sont issus d’ATI. Le département a longtemps eu une image, qu’il conserve en grande partie, de formation plus scientifique qu’artistique bien qu’il revendique les deux, dans son intitulé même. Depuis peu, davantage de graphistes intègrent la formation. ATI propose sur trois ans :
- un parcours L3 (i.e. en troisième année de licence) Arts et Technologies de l'Image dans la licence Arts Plastiques ; il s’agit d’une formation généraliste, pratique et théorique en image numérique artistique recouvrant tous les domaines de création et d’applications: réalité virtuelle, interactivité, jeux vidéo, animation 3D, effets spéciaux, multimédia.
- une mention de master Arts et Technologies de l'Image, en tronc commun au niveau M1, divisée au niveau M2 en une spécialité Images Numériques et Réalité Virtuelle (recherche) et une spécialité Arts et Technologies de l'Image Virtuelle (professionnelle). L’objectif affiché de cette formation est de développer une double compétence artistique et technique, articulée sur quatre axes: savoir-faire infographique 3D; pratique du traitement d'image et du montage virtuel; compétences scientifiques et techniques ; compétence artistique et esthétique
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La sélection est rude : pour quelque 400 candidats, 35 étudiants sont admis en L3. 35 places sont également accessibles en M1, et 20 dans chacune des spécialités de M2. Le lien avec le monde professionnel demeure sans doute un peu lâche, ATI ne semblant guère vouloir – ou pouvoir – le resserrer : ainsi, les professionnels qui siègent au jury ont tendance à être les mêmes d’une année sur l’autre. Par ailleurs, le manque de moyens et la pesanteur administrative – consubstantiels aux formations publiques – sont évidemment préjudiciables et douloureusement ressentis.
Toujours est-il qu’ATI demeure une formation très appréciée dans le secteur, notamment parce que les jeunes professionnels qui en sont issus sont en principe capables de faire face aux aléas d’une production : ils savent créer les images, mais ils savent aussi créer les outils.
Emile Cohl
www.cohl.fr/
L’école Emile Cohl est une école privée fondée en 1984 à Lyon pour former aux métiers du dessin sur une base académique. L’école recrute des titulaires d’un baccalauréat. Le cursus dure quatre ans : les deux premières années (année probatoire et première année) sont abondamment consacrées au dessin mais comprennent aussi des cours relatifs à la bande dessinée, au dessin animé, à l’illustration, au cinéma, à l’histoire de l’art, etc. Les deux années suivantes, tout en conservant un enseignement de tronc commun, permettent de choisir entre trois options : une option édition, une option multimédia, et une option court métrage, laquelle oriente vers les métiers de l’animation.
Emile Cohl délivre un titre homologué par l’Etat, ce qui suppose approbation des contenus pédagogiques, garantie d’un pourcentage de placement, tutelle du Rectorat. Le coût de la scolarité s’établit à quelque 7300 € pour l’année probatoire, 7880 € pour les deuxième et troisième années, 8100 € pour la
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quatrième année. Le passage dans l’année supérieure n’a rien d’automatique : les effectifs de l’année probatoire sont de 140 étudiants, de 85 en première année, de 65 en troisième année, de 40 en troisième et dernière année, dont 10 dans l’option court métrage. L’école s’enorgueillit d’un taux de placement de 100% dans les six mois. Un changement d’optique est intervenu en 2002 à propos de la formation à l’animation, à laquelle on avait pu reprocher jusque là un certain dilettantisme. La vocation professionnalisante est désormais clairement revendiquée, avec une équipe pédagogique largement composée de professionnels. De fait, le jugement porté par les entreprises du secteur de l’animation sur Emile Cohl est constamment élogieux, même s’il ne concerne qu’un petit nombre d’individus.
Ecole Pivaut
www.ecole-pivaut.fr/
L’école Pivaut, “Ecole technique privée d’arts appliqués”, basée à Nantes, a été créée en 1985. Elle propose une année préparatoire facultative, déclinée en deux options : Arts appliqués et Dessin narratif. En fin d’année, après entretien et sur dossier personnel, les étudiants peuvent intégrer la première année d’un cursus de trois ans. Cette première année est également accessible aux étudiants extérieurs, de niveau bac, sur concours. L’école Pivaut dispense plusieurs formations spécifiques, dont l’une au Cinéma d’animation, à laquelle introduit plus particulièrement la préparation de Dessin narratif. Des stages sont prévus dans le cours des deuxième et troisième années, un film de fin d’études couronne la formation.
La maîtrise du dessin occupe une place centrale dans la pédagogie. A en juger par l’absence de mention de logiciels 3D10, l’école forme aux compétences de
10 L’école n’ayant pas répondu à notre questionnaire, les informations factuelles la concernant sont exclusivement tirées de son site web.
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l’animation traditionnelle et de l’animation 2D numérique. La promotion 2007 de l’Ecole Pivaut a compté 26 diplômés, la promotion 2008, 24. De fait, la bonne réputation qu’elle s’est acquise depuis quelques années dans un nombre conséquent de studios lui est faite surtout par ceux qui traitent principalement les étapes de préproduction, pour lesquels l’excellence en dessin est un critère décisif.
1.3. Deux formations récentes et prometteuses
Nous avons distingué des précédentes deux formations plus récentes (du moins, pour l’une d’entre elles, sous sa forme actuelle) qui font déjà l’objet d’appréciations clairement positives de la part des entreprises rencontrées. Les éléments semblent réunis pour qu’elles intègrent le groupe des formations les plus efficaces, mais le recul manque évidemment encore.
L’ESMA
www.esma-montpellier.com/
L’Ecole supérieure des métiers d’art (ESMA) est une école privée basée à Montpellier dont la création remonte à 1999, et qui propose une pluralité de formations de caractère artistique. Sa section animation n’a pris sa forme actuelle qu’en 2003-2004. C’était auparavant une structure qui pratiquait en deux ans la formation à des outils logiciels particuliers. Le passage à un cursus sur trois ans a accompagné un changement d’orientation: le choix d’une formation non plus à des outils mais à des métiers (avec un enseignement de l’animation traditionnelle tout au long des deux premières années), dispensée par des enseignants issus du monde professionnel.
L’ESMA affiche des ambitions élevées : développer chez ses étudiants une technicité élevée en infographie 3D, d’une qualité comparable à celle de Supinfocom ; mais aussi être une véritable école de cinéma et donc pousser “plus loin” les exigences en matière d’animation de personnages, et
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singulièrement d’“acting”. Plus loin que quoi ? Plus loin que la référence habituelle, Gobelins. L’école prétend y être d’ores et déjà parvenue... Le recrutement des étudiants ne s’effectue pas par concours mais en fonction d’un pré-requis qui peut être un passage d’un an par une école d’art ou la présentation d’un dossier graphique personnel de qualité exceptionnelle. La sélection s’effectue en fait au fil des trois années : on compte 85 étudiants en première année, 46 en deuxième, 35 en troisième. Ce principe est aussi un modèle économique pyramidal qu’on retrouve dans d’autres écoles privées : la base très large de la première année permet de financer les années suivantes. Le prix de la formation, au demeurant, n’est pas des plus élevés : 4700 €/an (mais une augmentation est en vue).
L’école réclame de ses étudiants une implication forte : la scolarité est de 9 mois en première année, de 10 mois en deuxième, de 12 mois en troisième. Des stages en entreprise interviennent en fin de deuxième année11. L’ESMA applique le modèle du film de fin d’étude, réalisé en équipes de trois ou quatre, dans lesquelles chacun est censé être confronté à toutes les étapes de la fabrication. Les films sont présentés devant un jury d’invités prestigieux qui compte désormais, à côté des studios français, de nombreux représentants de studios étrangers. Les résultats semblent satisfaisants puisque les étudiants des deux dernières promotions qui le souhaitaient ont trouvé un emploi dans les deux mois suivant leur sortie, et certains dans des studios étrangers. Il est juste aussi de signaler que plusieurs des récents films de fin d’études de l’école se distinguent par leur qualité et ont de ce fait largement contribué à asseoir sa jeune notoriété.
11 L’impact sur le calendrier n’est pas neutre : le stage de fin de deuxième année s’effectuant pendant l’été et la troisième année courant sur les 12 mois, la fin des études intervient à l’automne, en décalage avec la plupart des autres formations. C’est une alternative qui peut être intéressante pour les studios selon leurs propres calendriers de production, qui ne s’accordent pas nécessairement avec les rendez-vous “obligés” des jurys, en juin-juillet.
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L’ESMA vise clairement à une rapide reconnaissance internationale. Dans cette perspective, elle s’est engagée dans un processus de recherche de ce qu’on qualifiera de “labellisation privée”, par Sony Pictures Imageworks, dans le cadre de son programme IPAX. Nous reviendrons sur ce point dans le prochain chapitre.
L’ESMA essaime en France depuis cette année avec le rachat de l’école ETPA de Toulouse. Au terme de la présente transition, celle-ci deviendra l’ESMA Toulouse, sur le modèle de la maison-mère de Montpellier.
Institut Sainte-Geneviève www.saintegenevieve6.org/ L’Institut Sainte-Geneviève, à Paris, est un établissement catholique d’enseignement sous contrat d’association avec l’Etat. Il délivre depuis 2004 un DMA en cinéma d’animation. Au terme de ces deux années, la formation, dispensée à la fois par des permanents et des intervenants extérieurs, vise à permettre aux étudiants, soit de poursuivre des études de plus haut niveau, soit d’entrer dans la vie active. La première année, à côté des cours de dessin et de cinématographie, constitue une “initiation poussée” aux techniques de l’animation. La deuxième année est consacrée à la réalisation d’un film et à la présentation des dossiers plastique et de cinématographie. Le cursus inclut des stages en entreprise d’au moins quatre demaines par an. La formation, ouverte à 14 étudiants, est accessible uniquement aux bacheliers STI Arts appliqués et aux étudiants de Mise à niveau en arts appliqués. La sélection s’effectue au travers d’un entretien et sur examen d’un dossier personnel. Le prix de l’inscription est de 1800 €/an. Au moment de notre enquête, l’Institut Sainte-Geneviève ne disposait pas de données chiffrées concernant le taux de placement des étudiants des trois promotions sorties depuis la création de son DMA, mais il annonçait avoir commencé à collecter les informations. Sans préjuger de ces résultats, on peut
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cependant avancer que les échos recueillis dans le milieu professionnel sont positifs. La tonalité est identique à Gobelins, où certains titulaires du DMA de Sainte-Geneviève poursuivent leur formation. Les prochaines années diront si l’Institut Sainte-Geneviève confirme ses débuts encourageants.
1.4. Une formation d’excellence aux VFX ArtFX www.artfx.fr/ “Ecole d’effets spéciaux et d’animation 3D”, ArtFX a fait le choix stratégique explicite de former en premier lieu pour les entreprises de postproduction et d’effets visuels. Ce choix tient à la personnalité de son fondateur, Gilbert Kiner, riche d’une longue expérience professionnelle dans certaines des entreprises historiques de la postproduction parisienne. C’est évidemment cette familiarité avec les enjeux, les usages et les modes opératoires du secteur qui est la clé du succès de cette formation “sur mesure”.
ArtFX est une école privée basée à Montpellier, créée il y a quatre ans. Elle propose un cursus en trois ans, précédé éventuellement d’une année préparatoire (6000 €). Après une première année de tronc commun, les étudiants font le choix, soit d’une spécialisation en animation 3D (pour 16 à 18 personnes par promotion), soit d'une spécialisation en effets visuels numériques (6650 € pour chaque année pour l’une ou l’autre des spécialisations). Exceptionnellement, cette spécialisation peut être prolongée d’un an pour certains étudiants susceptibles de viser à l’excellence dans des postes très spécialisés, pour des entreprises identifiées a priori et qui en ont fait la demande.
Le recrutement s’effectue sur entretien et concerne en principe des étudiants de niveau bac. Mais souvent, semble-t-il, se présentent des candidats de niveau bac + 2, titulaires d’un BTS ou issus d’une école des Beaux-Arts. La sélection est rigoureuse à l’entrée, appréciant motivation, niveau artistique et culture
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générale, et non moins dans le courant de la scolarité, puisqu’il peut arriver que des étudiants ne soient pas jugés d’un niveau suffisant pour continuer ; mais une assistance particulière est prévue pour ceux qui rencontreraient des difficultés ponctuelles. Le programme est dense et réclame des élèves une forte motivation. ArtFX vise à développer la polyvalence, singulièrement dans la spécialité VFX, pour laquelle les étudiants doivent évidemment acquérir la maîtrise des techniques 3D, mais aussi de celles de la prise de vues réelles, puisque leur travail portera sur des images de sources multiples. L’école insiste sur la culture cinématographique, celle des œuvres, mais tout autant celle des usages professionnels. La “culture du plateau” est un élément décisif, notamment pour les futurs superviseurs des effets visuels, qui devront comprendre le travail des différents corps de métier du cinéma.
Puisque les étudiants sont destinés à intégrer des entreprises dont l’imprégnation technologique est forte et permanente, l’école attache également une grande importance à la veille technologique. ArtFX forme de 35 à 40 personnes par promotion et annonce un taux d’insertion supérieur à 95 %. Mais, à en juger par certains commentaires des studios concernés, la demande pour les jeunes diplômés d’ArtFX pourrait en venir à excéder l’offre. L’exigence de culture, le souci de la veille, la connaissance intime des besoins du secteur, ce tryptique explique un succès exemplaire, qui commence à intéresser hors des frontières, et dont les modalités devraient inspirer certaines au moins des écoles d’animation.
1.5. Récapitulation partielle
Nous nous livrons ci-dessous à une tentative de récapitulation de l’offre de formation telle qu’elle est proposée par les formations que nous dirons “de premier rang” - au regard des attentes des studios rencontrés -, celles qui répondent à une double détermination : être explicitement professionnalisantes ; faire l’objet d’une reconnaissance effective par les entreprises d’animation.
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Nous avons tenu compte de l’allongement du cursus qui intervient cette année pour certaines formations (EMCA, Méliès, Supinfocom), mais dont les effets en termes d’apparition sur le marché du travail d’étudiants formés ne se feront sentir qu’ultérieurement.
Ces éléments demandent à être considérés avec beaucoup de prudence. En premier lieu, répétons-le, parce qu’on est ici conduit à comparer des éléments qui ne le sont guère, dans une gamme de compétences professionnelles très large et qui ne s’équivalent pas, ni en termes de durée de formation, ni en termes de situation future dans l’industrie ; ensuite parce que, au sortir de leur formation, certains jeunes diplômés feront le choix de s’expatrier ou rejoindront une autre formation complémentaire (de l’ESAAT ou de l’EMCA à Gobelins ou à la Poudrière, par exemple), d’où une apparition différée sur le marché du travail ; également parce que tous ne choisiront pas nécessairement le secteur de l’animation, même si l’on peut considérer qu’il est la destination largement majoritaire ; enfin parce qu’il faut ajouter au total ci-dessous un contingent très difficilement quantifiable de jeunes professionnels issus d’autres formations, soit non professionnalisantes (ENSAD) soit de qualité variable, mais qui devront à leurs mérites propres de s’être hissés au niveau de compétence requis pour être embauchés.
Avec toutes ces nécessaires réserves, l’addition des promotions fournit un premier indicateur intéressant: l’offre de formation initiale de qualité à l’animation apporte à l’industrie chaque année, dans la période présente, un contingent de nouveaux professionnels de plus de 300 personnes.
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Formation
Ville Recrutement Durée du théorique cursus12
Promotion
ESAAT Roubaix bac 2 ans 15
Sainte- Geneviève
La Poudrière
Paris bac 2 ans 14
Valence bac + ? 2 ans 10
ESMA Montpellier bac 3 ans 35
EMCA Angoulême bac 3 ans 2013
ATI
LISAA
Pivaut
Gobelins
ArtFX (animation)
G. Méliès
E. Cohl
Supinfocom
Supinfocom
TOTAL
Paris bac + 2 3 ans 20
Paris bac 3 ans 30
Nantes bac 3 ans 25
Paris bac 3 ans 25
Montpellier bac 3 ans 16
Orly bac 4 ans 25
L yon bac 4 ans 10
Valenciennes bac 5 ans 40
Arles bac 5 ans 40
325
12 Compte non tenu des années de « mise à niveau » éventuellement exigées par certaines écoles 13 40 à partir de 2011.
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1.6. Un cas particulier L’ENSAD www.ensad.fr/ L’École nationale supérieure des arts décoratifs est un établissement public d’enseignement supérieur, sous tutelle du ministère de la Culture. Elle a pour mission la formation artistique, scientifique et technique de créateurs aptes à concevoir et développer toute réalisation dans les diverses disciplines des arts décoratifs, la conduite et la valorisation de recherches dans ces disciplines. Le cursus est de cinq années d’études, éventuellement prolongées par une année, voire deux, d’un cycle supérieur de recherche, création et innovation.
L’ENSAD délivre donc un diplôme, de niveau master, de concepteur créateur avec une spécification du secteur. Le cinéma d’animation est l’un des secteurs qui font l’objet d’un enseignement de l’ENSAD, après une première année commune à tous les étudiants. Cette section rassemble 60 étudiants sur les quatre années restantes.
Dans les objectifs pédagogiques de l’école, l’accent est fortement mis sur la créativité et l’innovation. Il est donc parfaitement clair que sa vocation n’est pas de former des techniciens pour l’industrie de l’animation, pas plus que l’industrie de l’animation ne constitue pour elle un horizon privilégié. Il y aurait donc quelque injustice à lui reprocher son éloignement de ses enjeux et préoccupations.
Toutefois, l’enseignement dispensé n’ignore pas l’apprentissage technique et ses évolutions, et n’est pas absolument indifférent aux contraintes de la commande. Symétriquement, les studios et sociétés de production, si contraints qu’ils soient par les nécessités techniques et les impératifs de productivité, ont conscience que les talents graphiques, narratifs, de mise en scène leur sont également indispensables s’ils se soucient le moins du monde de conférer une identité à leurs productions.
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De cette double réalité naît une perception double, sinon ambivalente: l’ENSAD est reconnue comme un vivier de talents potentiels, mais, simultanément, considérée comme une formation qui ne garantit pas un niveau technique constant. Les logiques respectives de l’ENSAD et de l’industrie sont nettement distinctes mais, pour autant, des rencontres peuvent survenir.
1.7. Autres formations citées Objectif 3D www.objectif3d.com/ Objectif 3D, à Montpellier, est une école privée qui propose depuis 1999 un cursus Image de synthèse 3D, comprenant une année préparatoire, facultative, et deux années de spécialisation à la 3D.
Les élèves sont recrutés sur entretien de motivation et présentation de travaux personnels. Un test de connaissances en 2D permet d’intégrer la première année 3D. L’école indique “une centaine (d’élèves) répartie sur la totalité du cursus”. Les coûts de la formation sont les suivants : année préparatoire, 4 950 € ; première année 3D, 5 550 € ; deuxième année 3D, 5 850€.
L’école revendique “quasiment 100 % d’embauches durables depuis 2 ans (...) 2007 : 10 sur 11 embauchés, 2006 : 8 sur 8 embauchés et toujours en poste.” Elle cite également bon nombre de références prestigieuses parmi les studios français et internationaux.
Objectif 3D est essentiellement perçue comme une formation technique, privilégiant la maîtrise des outils. Celle-ci est évidemment indispensable mais elle peut se révéler insuffisante aux yeux de ceux des studios d’animation qui estiment que l’univers de concurrence qui est le leur les oblige à des ambitions esthétiques et narratives supérieures.
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ECV Aquitaine www.ecv.fr/fr/ecoles/aquitaine.htm L’Ecole de communication visuelle est un réseau de quatre écoles privées dont celle sise à Bordeaux, l'ECV Aquitaine, comprend un département Animation. Cet enseignement, accessible après un Atelier préparatoire, conduit aux métiers de Web designer, concepteur multimédia, animateur 2D-3D, game designer, modéliseur, graphiste en effets spéciaux. La diversité des métiers cités, exigeant des compétences distinctes et, dans le cas de l’animation, tout à fait spécifiques, pourrait laisser entendre qu’on est ici en présence d’une formation de caractère très généraliste et qui demanderait éventuellement à être complétée. Cependant, deux des producteurs/prestataires parmi les plus actifs du secteur nous ont déclaré leur satisfaction d’avoir embauché plusieurs personnes issues de cette formation.
Isart Digital www.isartdigital.com L’école privée parisienne Isart Digital propose, outre une “prépa Art multimédia”, des formations aux secteurs du Web, du Jeu vidéo et du Cinéma d’animation 3D. Celle-ci s’étale sur trois ans, pour des élèves de niveau bac et prépare aux métiers de : scénariste, storyboarder, designer 2D, infographiste modélisation 3D, infographiste layout 3D, infographiste de rendu, infographiste effets spéciaux, animateur 3D, opérateur compositing/montage final, etc. La formation coûte quelque 5900 € pour 600 heures annuelles sur 10 mois, soit un nombre d’heures de formation relativement faible. La direction l’explique par le principe, qu’elle promeut, de la formation en alternance. Même si les responsables de l’école déclarent placer l’intégralité de leurs étudiants, Isart Digital semble bénéficier d’une reconnaissance plus manifeste
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dans le secteur du Jeu vidéo que dans celui de l’animation, au sein duquel elle n’est que rarement citée.
Ecole Estienne www.ecole-estienne.fr/ Depuis la rentrée 2004, l'Ecole Estienne, à Paris, a mis en place un DMA Cinéma d'Animation orienté 3D, qui a pris la suite de la Formation complémentaire d'initiative locale (en un an) spécialisée en 3D. Il s’agit donc d’une formation en deux ans. La procédure de recrutement est ouverte à des titulaires d’un bac STI ou arts appliqués, une mise à niveau sur un an étant accessible à des bacheliers généralistes. Elle passe par deux phases : une présélection sur la base du dossier scolaire et d’une lettre de motivation ; un entretien appréciant les aptitudes globales et spécifiques ainsi qu’un niveau culturel général et particulier. 180 candidats se sont présentés en 2007, 60 ont été présélectionnés, 12 sélectionnés. La formation est gratuite. Ce DMA a une faible notoriété dans le milieu professionnel et les films de fin d’année ne témoignent pas d’une maîtrise technique particulière. Le choix, pour l’enseignement, du logiciel 3DS Max, peut par ailleurs sembler inapproprié. Il peut expliquer que les entreprises de référence spontanément citées par l’école appartiennent au secteur du jeu vidéo. Cette formation apparaît davantage comme une initiation, qui a le clair intérêt de la gratuité, et qui appelle à un approfondissement ultérieur des compétences. Quelques titulaires du DMA ont d’ailleurs réussi à intégrer le cycle supérieur de Supinfocom.
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ESAG Penninghen
www.penninghen.fr
L’Ecole supérieure de design, d’art graphique et d’architecture intérieure, à Paris, est un Etablissement supérieur d’enseignement privé dont la création remonte à 1968. La réputation de cette formation dans le monde des arts graphiques n’est évidemment plus à faire. Le cursus d’Art graphique qu’elle organise, sur cinq ans, n’inclut pas, au demeurant, de contenus pédagogiques spécifiques qui en ferait à proprement parler une formation à l’animation.
Il est de fait, cependant, que parmi les nombreuses écoles d’art ou d’arts appliqués existantes, certaines, qui n’ont pas stricto sensu une visée professionnalisante pour le secteur de l’animation, forment cependant des jeunes gens susceptibles d’y être employés. C’est entre autres le cas de Penninghen, dont certains des diplômés ont trouvé à exercer leurs compétences dans des entreprises d’animation, ou liées à l’animation.
Vocation graphique www.vocationgraphique.com/ Vocation Graphique est une école privée constituée en association, qui a développé, à Paris, une filière Animation en 2006, sur trois ans. Le prix de la formation s’établit à 3500 € pour la première année, à 5800 € ensuite. Du fait d’incertitudes apparues lors de la dernière rentrée scolaire quant à la troisième année, certains élèves, en fin de deuxième année, ont rejoint des studios, d’autres intégrant d’autres écoles mieux établies.
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ESRA/Supinfograph14
www.esra.edu/esra/
Le groupe ESRA revendique d’être le plus important groupe privé de formation en France pour les métiers de l’image et du son. Il est implanté à Paris (depuis 1972), à Nice (depuis 1988) et à Rennes (depuis 1999). A côté de l’ESRA (Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle) proprement dite et de l’ISTS (Institut supérieur des techniques du son), Sup’infograph forme aux métiers de l'image 3D et en particulier à ceux du film d'animation, de l'habillage télévisuel et des effets spéciaux. Cette division a été créée à Paris en 1997, à Rennes en 1999, à Nice en 2000. Elle est accessible aux bacheliers sur concours.
La formation s’effectue en trois ans, dont un cycle pluridisciplinaire de deux ans et une troisième année de spécialisation. Le coût de la formation, du moins à Paris, offre la particularité intéressante d’évoluer en fonction du nombre de versements : paiement en 2 fois : 6 825 € dont 1 725 € à l'inscription ; paiement en 5 fois : 7 105€ dont 1 725 € à l'inscription; paiement en 9 fois : 7 381 € dont 1 725 € à l'inscription.
L’école est connue mais fait l’objet de critiques récurrentes par les studios : il lui est notamment reproché sa sélection initiale laxiste. L’an dernier, un film de fin d’études de Sup’infograph Rennes a été sélectionné pour le Siggraph, ce qui constitue une réelle valorisation. Mais ces films sont réalisés par des équipes trop nombreuses (de l’ordre de la dizaine d’étudiants) ce qui rend très ardue, pour l’employeur potentiel, la détermination précise des compétences de chacun.
14 N’a pas répondu à notre questionnaire.
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Pôle 3D15
www.pole3d.net/
L’Ecole supérieure d’infographie, basée à Roubaix, dispense une formation initiale en Infographie 3D sur 3 ans + 1 année optionnelle ; elle annonce préparer aux métiers des effets spéciaux, du jeu vidéo, de l’architecture, du design, du web, de l’imagerie numérique industrielle, de la 3D temps réel. Un studio parisien important nous a déclaré avoir embauché une étudiante issue de cette formation.
1.8. Premières conclusions
Notre enquête fait donc d’abord apparaître deux catégories de formations : - des formations réellement professionnalisantes et pleinement reconnues par le milieu professionnel. On a vu qu’elles avaient chacune leur identité
et que, de l’une à l’autre, les objectifs pouvaient être différents ; - des formations qui ne sont pas sans mérites, mais ne débouchent qu’occasionnellement sur des embauches dans les entreprises d’animation. Il est permis de penser que certaines au moins de celles-ci pourraient se hisser au niveau des premières, sous condition parfois d’une expérience plus longue, d’autres fois d’une meilleure prise en compte des attentes et exigences de l’industrie. Notons dès à présent qu’il faudrait pour cela que l’industrie parvienne à formaliser et à communiquer ses attentes et exigences. Nous reviendrons sur ce point, comme sur la question difficile de l’évaluation de la capacité du marché à accueillir de
nouveaux professionnels. Il s’en faut de beaucoup que les 20 écoles citées précédemment constituent la totalité de l’offre de formation à l’animation. L’utilisation d’un moteur de
15 N’a pas répondu à notre questionnaire
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recherche en fait apparaître bien d’autres, sans garantie du reste d’épuiser le domaine. Nous avons adressé des questionnaires aux structures suivantes : Iesa, E.ArtSup, EESI Poitiers, ESIA 3D, Studio M (2 sites), Aries (4 sites), Studio Mercier, Ecole Intuit-Lab, Itecom Art Design, Ecole des métiers de la communication, SAE Institute, AMTV Comm, Institut de création et d’animation numérique, Centre Factory, Eicar, Supcrea, ILOI. Soit plus de 20 autres sites de formation16. Sur ce contingent, nous n’avons obtenu que 2 réponses, l’une nous signalant que l’école ne formait plus à l’animation (Eicar), l’autre opposant une fin de non-recevoir à notre demande d’information.
On peut sans doute avancer des explications multiples à ce mutisme: indifférence, dysfonctionnement organisationnel, etc. A une exception près (EESI Poitiers), il s’agit ici de structures de formation qui ne nous ont été citées par aucune des entreprises du secteur de l’animation que nous avons rencontrées. Si l’on peut admettre que certains de nos interlocuteurs du monde professionnel, lors de nos entretiens, ont pu oublier de citer telle ou telle formation, il est beaucoup plus difficile de supposer que tous aient fait les mêmes oublis.
Il y a donc bien une troisième catégorie de formations : celles qui prétendent former aux métiers de l’animation mais, selon les entretiens réalisés au cours de notre enquête, sont de fait déconnectées de ce secteur. Mais elles sont référencées par les moteurs de recherche, achètent de l’espace publicitaire dans des publications spécialisées, participent à des expositions et des salons. Il y a, tout simplement, inadéquation entre le discours et la réalité et probablement, dans certains cas, tromperie délibérée. On pourrait croire que, de ce fait, ces formations sont à terme condamnées à disparaître. Ce serait sans doute
16 Il faut également tenir compte de certaines formations de type école d’art, ou de communication visuelle, qui ne revendiquent pas explicitement de former à l’animation, mais sont, quoique rarement, citées par des studios d’animation qui ont pu embaucher de leurs anciens étudiants. L’école Brassart, à Tours, dirigée par Bernard Deyriès, est de celles-ci.
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témoigner d’une foi excessive dans la capacité autorégulatrice du marché. Elles profitent en effet du flou sémantique de termes tels qu’infographie, multimédia et autres, lesquels, tant qu’ils ne sont pas spécifiés, peuvent désigner des réalités très diverses, et parfois très décevantes. Le terme même d’animation peut prêter à maintes ambiguïtés : animation de quoi, pour quels publics, sur quels vecteurs de diffusion, selon quelles procédures et techniques? Faute d’éléments d’appréciation clairs et validés par les entreprises, les futurs étudiants et leurs familles peuvent facilement s’abuser – ou être abusés - sur les mérites d’une formation. La consultation des forums de discussion, sur Internet, est d’ailleurs révélatrice de la pénurie d’informations dont pâtissent les jeunes intéressés par les métiers de l’animation.
Quel peut-être leur destin professionnel au sortir de ce type d’écoles ? Un nombre restreint, ceux qui feront montre d’un talent exceptionnel et/ou qui auront compensé par un travail personnel soutenu les carences de leur école, pourront parvenir quand même à intégrer une entreprise du secteur. Une majorité devra se tourner vers des secteurs ou des supports exigeant une moindre technicité que l’animation : sites web, communication institutionnelle, jeux vidéo de bas de gamme. La généralisation à quasiment tous les secteurs de l’économie de l’usage des techniques de représentation numériques a en effet créé un besoin de main d’œuvre formée seulement au maniement des outils les plus simples. C’est ce type de main d’œuvre que produit réellement cette dernière catégorie d’école, et c’est en faisant miroiter les ors du cinéma qu’elle recrute ses clients.
Il est par conséquent nécessaire que le secteur de l’animation assume de façon collégiale la responsabilité d’informer sur les cursus réellement professionnalisants, en explicitant ses choix. C’est une des conditions d’un développement maîtrisé ; c’est également une obligation morale vis-à-vis des jeunes et de leurs familles. Nous proposerons plus loin un dispositif susceptible de répondre simplement à cet objectif.
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Chapitre 2 Les problématiques de la formation
2.1. Les conditions d’une bonne formation La sélection initiale La qualité d’une formation a pour première condition la rigueur apportée à la sélection des étudiants. Une (bonne) formation doit pouvoir formaliser clairement la nature et l’étendue de ses pré-requis en fonction des objectifs finaux qu’elle affiche. Elle doit ensuite mettre en place les procédures de sélection adaptées, qui permettent de minorer le risque d’erreur de recrutement17. La sélection initiale est le socle sur lequel peut se bâtir un édifice pédagogique cohérent et homogène : cohérent pour pouvoir transformer, en quelques années, un talent en germe et des connaissances fragmentaires en compétences professionnelles ; homogène pour garantir autant qu’il est possible un rythme de progression régulier, au fil du cursus, à l’ensemble d’une promotion. Ce principe est très généralement reconnu, et l’énoncer à nouveau pourrait sembler superflu. Il n’en est rien et il importe au contraire de le réaffirmer, puisqu’il est une pierre de touche de la sincérité et de l’honnêteté d’un projet pédagogique. Les écoles les plus prestigieuses et les plus valorisées sont en position de pratiquer une sélection exigeante. Les candidatures sont en nombre suffisant pour qu’un concours difficile soit mis en place qui, en principe, retiendra les meilleurs éléments. Dans le cas de Gobelins ou de Supinfocom, ou encore de l’ENSAD, la difficulté du concours est telle que son accessibilité aux titulaires d’un baccalauréat est seulement théorique. Dans la pratique, une, voire plusieurs, années de préparation sont nécessaires pour présenter le concours
17 Minorer et non supprimer. La sélection n’est pas une science exacte : les écoles les plus sélectives admettent que, dans chaque promotion, se trouvent des étudiants dont le niveau ou la motivation n’ont pas été correctement appréciés par le jury.
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avec de réelles chances de succès. Apparaît ici une difficulté qui excède le périmètre de la présente étude mais que nous devons néanmoins évoquer : ces formations préparatoires – ou de “mise à niveau” - sont elles-mêmes une jungle dans laquelle le meilleur côtoie le pire. L’un de nos interlocuteurs nous a cité le chiffre de quelque 100 “prépas” coexistant sur la seule ville de Paris, dont certaines ne sont que des cours du soir, entassant dans des salles des étudiants que l’on fait dessiner, sans encadrement ni contenu pédagogique. Là encore, il serait souhaitable de moraliser les pratiques en délivrant une information circonstanciée. Ce résultat pourrait assez facilement être atteint, nous semble-t- il, si les écoles les plus demandées publiaient chaque année, en même temps que les résultats de leurs concours d’admission, l’indication des classes de préparation suivies par les lauréats18. Ce serait un premier pas substantiel dans la définition de filières, sinon de droit, du moins de fait.
Toutes les écoles ne sont pas également en mesure de sélectionner leurs étudiants. Certaines parce qu’elles n’ont pas la notoriété suffisante pour attirer un éventail suffisamment large de candidats, circonstance qui peut aussi se combiner à des préoccupations financières, notamment pour les écoles privées. Il est en effet fort difficile à une école privée d’accepter de mettre en péril son équilibre au nom du respect d’exigences pédagogiques. Elle pourra donc être tentée d’accepter des étudiants d’un niveau insuffisant, si leur inscription est jugée économiquement nécessaire. D’où l’adoption parfois d’un principe de sélection différée (évidemment préférable à l’absence de sélection) : un accès large en première année, garantissant à l’école une assise financière suffisante, et une diminution progressive des effectifs jusqu’au terme du cursus. Il reste
18 Certaines – l’ENSAD notamment – s’y refusent au motif qu’elles ne souhaitent pas “faire de la publicité” à tel ou tel organisme. L’argument nous semble de peu de poids au regard de la responsabilité qui doit être celle d’une école vis-à-vis des familles. Au demeurant, cette rétention vertueuse est profondément inéquitable : comme il est malheureusement habituel, les familles disposant de relations et de connivences dans le secteur auront accès à ces informations refusées au plus grand nombre.
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qu’on ne peut s’empêcher de craindre, en l’occurrence, que ce type de dispositif n’ait pour corollaire le sacrifice délibéré de certains étudiants de première année.
Outils et métiers
Sélection nécessaire, certes, mais selon quels critères ? Il ne peut y avoir de réponse univoque à cette question, directement dépendante des objectifs déclarés de chaque école. Un élément de réponse peut cependant être tiré d’une évolution positive que l’on constate : le débat entre formation aux outils et formation aux métiers, encore ouvert il y a une dizaine d’années, a été définitivement tranché. Il avait trouvé une apparente justification avec l’apparition d’outils logiciels – singulièrement 3D - de plus en plus performants, dont certains ont pu croire qu’ils diminueraient la part de la responsabilité humaine dans la création. Cette illusion techniciste, parfois simplement naïve, parfois cynique – elle permettait de minorer les compétences des personnels – n’a plus réellement cours.
En effet, la formation aux outils est au mieux insuffisante, au pire un leurre. D’abord parce que les outils sont par essence voués à une obsolescence rapide dans un secteur fortement imprégné par le développement technologique ; ensuite parce que l’outil s’attache à une tâche particulière et ne permet pas la compréhension de l’ensemble du processus de création, de ses étapes successives et de la pluralité des compétences qu’il requiert ; enfin parce que l’outil, si efficace qu’il soit, ne crée pas par lui-même la “plus-value artistique” qui est attendue par les employeurs potentiels.
Pour le dire en d’autres mots : une formation qui se contente d’enseigner la place des commandes dans un logiciel rend ses étudiants inaptes à comprendre et à appliquer les évolutions techniques et fragilise en proportion leur insertion professionnelle ; elle les enferme de surcroît dans une sorte de myopie fonctionnelle qui ignore le sens du travail en commun et perd l’horizon de la création. La banalisation des outils numériques a d’ailleurs eu un effet collatéral
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pernicieux : l’informatique induit trop fréquemment la généralisation de la progression par essais/erreurs, qui tend à se substituer à une conscience technique et artistique claire des buts et des moyens. C’est un argument supplémentaire pour renforcer la culture artistique et la culture générale dans les cursus.
Fort heureusement, toutes les bonnes formations françaises ont ce trait en commun de former au métier. C’est sans doute même ce choix assumé qui fait leur intérêt et leur valeur aux yeux des studios étrangers. Mais de quel(s) métier(s) parle-t-on ? Ils sont en effet nombreux, tout au long de la chaîne de fabrication de l’animation, et peuvent se décliner diversement selon les techniques d’animation. Ils ont cependant en commun d’être des métiers artistiques exigeant une forte technicité. Cette double détermination permet de clarifier très simplement le débat pédagogique: sont symétriquement inadéquates – dans une perspective professionnalisante - les formations qui ignorent ou sous-évaluent l’apprentissage des techniques et les formations qui ignorent ou sous-évaluent le talent artistique. D’une école à l’autre, les plateaux de la balance peuvent être différemment équilibrés, mais les deux dimensions doivent être présentes dès lors que la finalité professionnalisante est affirmée.
La question initiale des pré-requis prend désormais un tour plus concret. Les écoles ont l’obligation de vérifier les dispositions artistiques initiales des candidats, et doivent même s’attacher à mesurer comment celles-ci se sont nourries d’une culture artistique : culture des arts de la représentation visuelle, bien sûr, mais aussi, idéalement, culture “générale”. Le “bagage technique”, quant à lui, pourra être apprécié différemment selon l’identité des écoles. Les écoles d’animation traditionnelle 2D mettront logiquement davantage l’accent sur l’excellence en dessin que les écoles d’animation 3D. Mais, dans l’un et l’autre cas, on vise à recruter des jeunes gens qui doivent devenir des artistes techniciens. Le déroulement du cursus doit démontrer sa pertinence sur ces deux fronts : développer la maîtrise d’une large palette d’outils et de techniques, mais
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aussi leur compréhension dans la perspective du but à atteindre ; élargir et enrichir l’univers artistique et culturel. Une autre dimension du “métier” doit encore être soulignée : une œuvre d’animation est une œuvre collective19, le résultat du travail d’une équipe rassemblant des compétences plurielles tout au long d’une chaîne de fabrication complexe. Un professionnel doit être capable de se situer exactement et efficacement dans ce processus, de comprendre les compétences mises en œuvre en amont, qui déterminent son travail, et celles mobilisées en aval, que son travail détermine. Cette réalité conditionne également la formation, qui doit favoriser une connaissance globale de la chaîne de création et une connaissance particulière de chaque moment de la fabrication. C’est pourquoi, même si, au terme de leur formation, les étudiants se voient reconnaître une spécialisation, ils devront avoir acquis pendant leur scolarité les éléments d’une polyvalence effective. C’est la condition de la maîtrise réelle de leur spécialité, c’est aussi la garantie de ne pas voir leurs compétences dévalorisées sous l’effet d’une avancée technologique ou d’un bouleversement de conjoncture économique.
L’apport des professionnels et des studios
Un lien étroit avec le milieu professionnel est indispensable dans la perspective d’une formation professionnalisante. L’intervention directe dans le cursus pédagogique de professionnels issus des studios est à cet égard fondamental. Leur apport dans la transmission des savoir-faire est évidemment décisif, mais tout autant leur connaissance intime des modes d’organisation de la (des) chaîne(s) de fabrication, leur sens du travail en équipe, leur compréhension des impératifs de productivité.
19 Nous n’ignorons pas un certain nombre de chefs d’œuvre de l’histoire de l’animation dus à des auteurs singuliers, hors de toute collaboration. Mais les conditions de création de ces films n’ont évidemment rien à voir avec les logiques de formation et d’emploi.
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La pratique des stages en entreprise participe de la même logique. Un ou plusieurs stages dans les entreprises d’animation doivent être intégrés à la scolarité. Ils en sont une partie intégrante et non un appendice décoratif. Le stage est le premier moment où le futur jeune professionnel commence à appréhender concrètement la réalité du métier et celle du secteur. D’abord, évidemment, parce qu’il s’y trouvera pour la première fois confronté à la nécessité de démontrer son savoir-faire dans le contexte d’une production réelle, fût-ce avec le soutien d’un professionnel confirmé et entouré de garde-fous. Ensuite parce que, au-delà des premières responsabilités professionnelles qui lui seront confiées, il pourra prendre conscience des réalités de la vie d’un studio d’animation.
C’est là une vision très générale et qui ne se trouve pas toujours vérifiée dans la pratique. Insistons donc sur la double responsabilité de l’école et du studio dans la tenue d’un stage efficace. Beaucoup d’écoles laissent à leurs étudiants le soin de trouver une entreprise susceptible de les accueillir en stage. C’est certes une façon de les responsabiliser, mais au risque que l’entreprise ne soit choisie que pour des raisons de commodité ou de proximité, et non pour l’expérience qu’elle est susceptible d’apporter. L’école doit à notre sens préparer les stages avec les entreprises et s’assurer qu’ils auront un contenu réel. A l’issue du stage, elle doit demander à l’entreprise comme au stagiaire un rapport permettant d’en tirer un bilan. Symétriquement, l’entreprise ne peut se contenter d’employer un stagiaire à faire des photocopies et à préparer du café, et pas davantage l’intégrer simplement à la production comme un travailleur gratuit. Le stage doit rester un temps d’apprentissage et ne pas être confondu avec un premier travail, même si parfois la frontière entre les deux peut sembler floue. Encadrer un stagiaire a bien sûr un coût, mais que l’entreprise doit accepter. Le stage, enfin, doit avoir une durée suffisante pour que le stagiaire, d’une part, bénéficie d’une expérience réelle de la production et que, d’autre part, l’entreprise puisse accompagner sa progression et jauger ses compétences dans des conditions de plus en plus
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proches de celles de la production. Un format de stage de deux mois semble généralement préconisé. Une telle durée n’est pas excessive si elle intervient au terme de la scolarité, et peut constituer un efficace préalable à une embauche. Des durées plus importantes, de l’ordre de six mois, peuvent aussi être envisagées, à l’instar de ce qui se pratique dans d’autres secteurs économiques. Ceci supposerait évidemment une refonte des cursus. Des stages courts peuvent par ailleurs être prévus plus tôt dans le cursus.
Harmoniser les exigences et les contraintes des écoles et des entreprises ne va pas sans difficultés pour les unes comme pour les autres. Nous serons donc amenés à revenir sur cette question dans le chapitre traitant du nécessaire dialogue entre pédagogues et professionnels.
Le film de fin d’études
Toutes les formations ne s’achèvent pas sur la présentation d’un film de fin d’études. Certaines – et des plus estimables – demandent à leurs étudiants de présenter un projet qui peut être de nature différente, ou mettent l’accent sur les exercices et travaux réalisés dans le cours de la scolarité. Le film de fin d’études a cependant pris une importance majeure dans le paysage de la formation à l’animation, et peut-être excessive.
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause ses vertus pédagogiques : elles sont incontestables. Le film de fin d’études constitue un apprentissage du travail en équipe, et donc une première approche d’une réalité fondamentale du secteur ; il confronte les étudiants aux exigences de chaque étape d’une production, du développement du concept et de la préproduction au rendu final, favorisant ainsi leur polyvalence ; il les met également dans des conditions proches des conditions de la vie professionnelle : gérer au mieux des contraintes très concrètesde définition du projet, d’adéquation des moyens techniques et humains, de gestion d’un calendrier de production et de respect obligatoire d’une échéance. La façon dont les équipes d’étudiants auront satisfait à ces
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divers impératifs constitue aussi, pour les entreprises à la recherche de jeunes talents à embaucher, un élément d’appréciation pertinent des compétences mises en œuvre. Mais le film de fin d’études n’est plus seulement un exercice pédagogique. Il est devenu aussi un instrument central de l’autopromotion des écoles qui le mettent en avant. Supinfocom n’a certes pas inventé la formule, mais l’a portée à un remarquable degré d’efficacité. L’exercice de fin d’études est devenu un film de court métrage à part entière et les plus séduisants – sinon toujours les meilleurs – font carrière dans les festivals. Puisque le court métrage d’animation d’auteur est réduit à une existence ectoplasmique hors de toute économie (ce qui est hautement dommageable pour le secteur), le “film d’école” est devenu une sorte de nouveau genre, et une catégorie à part entière dans bien des festivals. Et y recevoir des prix apparaît comme un objectif et un enjeu importants (de façon plus ou moins explicite) à bien des écoles qui trouvent là un remarquable vecteur de publicité et de communication. Au point que des formations de qualité qui ne pratiquaient pas l’exercice l’ont à leur tour adopté, craignant si elles ne le faisaient pas d’être pénalisées dans la course à la notoriété et également de frustrer leurs étudiants, désireux eux aussi de se faire une première “carte de visite”.
Les festivals en profitent, certains diffuseurs et distributeurs y trouvent aussi leur compte et l’amateur d’animation se réjouit, quant à lui, d’avoir ainsi accès à de nouveaux courts métrages chaque année. Il faut introduire quelques bémols dans ce tableau idyllique. La généralisation du modèle “film d’école” peut aussi avoir quelques effets pernicieux, dont celui de favoriser un certain nombre de raccourcis indus, qui assimilent une carrière dans les festivals à un brevet d’excellence accordé aux écoles. Du coup, la concurrence entre formations, la lutte pour la reconnaissance peut inciter certaines à surestimer l’enjeu: avec parfois accompagnement de rumeurs malveillantes (“ce ne sont pas des films d’étudiants, des professionnels y
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participent”), suivies de protestations d’honnêteté indignées, etc. Rappelons donc quelques vérités de bon sens, tirées de l’expérience :
- un film médiocre, voire mauvais, ne permet pas de conclure que l’école dans laquelle il a été produit pratique nécessairement une mauvaise pédagogie. Le seul étalon auquel on puisse mesurer la légitimité d’une formation doit rester l’embauche de ses étudiants ;
- de la même façon, un excellent futur professionnel peut se trouver avoir participé à un film médiocre, voire mauvais ;
- le principe du film réalisé en équipe, en dépit de sa vertu pédagogique, a toujours cet inconvénient pour le recruteur potentiel de rendre difficile l’appréciation de l’apport réel de chacun des membres de l’équipe ;
- un bon film d’école, éventuellement primé, peut être un indicateur du talent de ses protagonistes et de la qualité de l’encadrement pédagogique. Mais il reste un film d’école, c’est-à-dire un travail réalisé dans un rapport temps de travail/qualité qui est loin des exigences de productivité des entreprises.
En conclusion : le film de fin d’études a toutes sortes de mérites directs et indirects, mais prenons garde au risque de le survaloriser.
2.2. Un marché concurrentiel et anarchique
Nous l’avons dit en introduction: la formation est, aussi, un marché, évidemment concurrentiel. Et un marché presque complètement libre, que tout un chacun, peut essayer de pénétrer. D’où l’inflation de l’offre que nous avons relevée dans le chapitre précédent qui, jusqu’à présent, n’a pas pu être maîtrisée. On y trouve de tout: tous les niveaux de qualité, tous les contenus pédagogiques, toutes les durées de cursus (de quelques mois à 5 ans et plus), tous les prix (de la quasi-gratuité à 8000 €/an et plus). S’il est certain que le critère d’appréciation ultime - pour les entreprises, mais aussi pour les jeunes ! -
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reste celui de l’embauche, ce verdict ne tombe évidemment qu’au terme de la formation. Quels peuvent donc être les balises et les points de repère disponibles a priori, avant qu’il ne soit trop tard ?
La tutelle est l’un d’entre eux. On distinguera sous ce rapport 3 grandes catégories de formations : celles dépendant de l’Education nationale, des CCI, et les écoles privées. Les formations de l’Education nationale ont à nos yeux le très important mérite de la gratuité : peut-on en effet parler sérieusement de “droit à la formation” lorsque l’application de ce droit se trouve dépendre des ressources financières des jeunes et de leurs familles, ou de leur capacité d’endettement ? Elles n’ont malheureusement pas celui de la cohérence : en dépit d’un référentiel commun, il est manifeste par exemple que les vertus professionnalisantes des divers DMA ne sont pas égales. Par ailleurs, aucune passerelle ne semble relier les DMA à l’ENSAD, et moins encore, si possible, au département ATI de l’Université Paris VIII. Chaque structure fonctionne dans l’ignorance des autres et la tutelle semble fort éloignée de toute vision d’ensemble. Ce qui est parfaitement commun, en revanche, c’est l’insuffisance de leurs moyens, qui pèse sur leur fonctionnement, notamment vis-à-vis du milieu professionnel, et freine en proportion leurs capacités d’évolution.
Les écoles consulaires présentent un visage plus homogène quant à leurs qualités respectives. Gobelins (Paris), Supinfocom (Valenciennes et Arles), l’EMCA (Angoulême) figurent toutes parmi les formations de référence. Elles n’en vivent pas moins leurs relations mutuelles sur le mode de la concurrence et de la rivalité20 : les CCI concernées défendent avant tout leurs intérêts propres, et veulent être prioritairement le vecteur d’intérêts locaux. On peut certes concevoir qu’elles sont ainsi dans leur rôle, mais il n’en demeure pas moins qu’une réflexion commune sur les modalités et enjeux de la formation à
20 Ce qui n’exclut évidemment pas de bonnes relations interpersonnelles. 62
l’animation pourrait porter quelques fruits, dont pourraient profiter les écoles qu’elles administrent. Le désir n’en est pas apparent. On aura compris par le chapitre précédent que la nébuleuse des écoles privées est le lieu des contrastes les plus violents. Y coexistent des écoles largement légitimées par le milieu professionnel et des formations fantômes. La concurrence y est particulièrement acharnée entre celles dont la survie économique dépend de leur capacité à enregistrer chaque année un nombre suffisant d’inscriptions. Le jeu consiste à essayer de recruter plus tôt que les concurrents : entretien en mars-avril, puis sélection plus ou moins réelle, débouchant sur un contrat de scolarité et un premier chèque...
On tirera de cette analyse la conclusion que, si la vocation professionnalisante des écoles consulaires est nettement affirmée, la nature publique ou privée des autres formations n’est pas par elle-même un critère discriminant. Les prix d’inscription ne présentent pas davantage d’homogénéité. Pour ne parler que des formations payantes pouvant revendiquer une crédibilité, la fourchette en est très large, comme le montre le tableau suivant.
Année 1 Année 2 Année 3 Année 4 Année 5 Total €
La Poudrière
Ste-Geneviève
EMCA
Gobelins
ESMA
LISAA
G. Méliès
ArtFX
E. Cohl
Supinfocom
1000 €
1800 €
3500 €
4400 €
4700 €
5856 €
5000 €
6000 €
7300 €
5600 €
1000 €
1800 €
3500 €
4400 €
4700 €
7430 €
6000 €
6650 €
7880 €
5600 €
x
x
3500 €
4400 €
4700 €
7430 €
6000 €
6650 €
7880 €
6676 €
x
x
x
x
x
x
6000 €
6650 €
8100 €
6676 €
x
x
x
x
x
x
x
x
x
6676 €
2000
3600
10.500
13.200
14.100
20.716
23.000
25.950
31.160
31.228
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“Comparaison n’est pas raison”, dit sagement le proverbe. Sont en effet mis en regard ci-dessus des tarifs qui ne sont pas comparables terme à terme. Il est patent que l’équilibre n’est pas le même entre une association qui bénéficie de soutiens financiers multiples, comme la Poudrière, et une école privée sans la moindre subvention comme Emile Cohl. Il faut aussi garder présent à l’esprit que certaines de ces formations, mais pas toutes, supposent une formation préalable, qui ajoute au coût global pour les familles. Les coûts de formation/étudiant pour chaque école, selon la nature et la quantité des équipements, selon le nombre et la qualité des intervenants, sont aussi très variables.
Une lecture simplement “arithmétique” de ce tableau serait donc tout à fait fautive et injuste. Il importe aussi de préciser que, pour plusieurs d’entre elles au moins, le coût/étudiant est supérieur au prix de l’inscription. Et il faut répéter que beaucoup d’autres écoles pratiquent des tarifs aussi élevés que les plus onéreuses citées ici, mais en délivrant des formations de mauvaise qualité. L’intérêt de ce récapitulatif est ailleurs : il vise à faire mesurer le poids pour les familles d’une formation professionnelle à l’animation. Les disparités tarifaires ne sont pas négligeables, et ce poids est parfois fort lourd.
2.3. Diplômes, titres, certificats...
On a vu dans le chapitre précédent que certaines formations délivrent des diplômes, ou des titres, revendiquent une certification. Qu’entend-on par ces vocables et que disent les textes officiels 21? (Un diplôme est un) document écrit établissant des droits (selon les cas : accès aux concours, poursuite d'études...). Il émane d’une autorité compétente, sous le
21 Commission Nationale de la Certification Professionnelle (http://www.cncp.gouv.fr)
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contrôle de l’Etat. Il conditionne l’accès à certaines professions et à certaines formations ou concours. Il reconnaît au titulaire un niveau de capacité vérifié. (...) Les titres à finalité professionnelle qui n’ont pas été élaborés dans le cadre d’une procédure de consultation tripartite (Etat, partenaires sociaux) doivent faire une demande d’enregistrement au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) pour y figurer. Ceci concerne en particulier les titres délivrés par des organismes privés consulaires ou publics, ou par des ministères non dotés d'instance consultative (défense, équipement, culture,...). La procédure implique une saisine par un ministère ou le préfet d’une région, une instruction, un avis de la commission nationale des certifications professionnelles (CNCP) et publication d'un arrêté au Journal officiel.
Le niveau des titres ainsi enregistrés au RNCP bénéficie de la reconnaissance de l'Etat. (...) Le répertoire national des certifications professionnelles a pour objet de tenir à la disposition des personnes et des entreprises une information constamment à jour sur les diplômes et les titres à finalité professionnelle ainsi que sur les certificats de qualification figurant sur les listes établies par les commissions paritaires nationales de l'emploi des branches professionnelles. Il contribue à faciliter l'accès à l'emploi, la gestion des ressources humaines et la mobilité professionnelle. Les certifications enregistrées dans le répertoire sont reconnues sur l'ensemble du territoire national.
Les certifications sont positionnées en fonction de niveaux permettant de situer la qualification d’une personne ayant réussi avec succès les évaluations permettant l’octroi d’un diplôme ou d’un titre à finalité professionnelle. Ces niveaux s’échelonnent de I à V, dans un ordre décroissant : le niveau I correspondant au niveau de qualification le plus élevé.
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Les niveaux sont définis de la façon suivante :
On comprend l’idée, que l’on résumera vulgairement ainsi : des procédures existent et sont appliquées qui ont pour objet de vérifier et valider le sérieux des formations et de régler leur signification pour le monde professionnel. C’est là, en droit, une garantie tant pour les étudiants que pour les entreprises.
Mais le fait est que le milieu professionnel de l’animation n’accorde pas la moindre consistance aux titres ni aux diplômes, ni à leur possible certification par quelque instance que ce soit. Aucune embauche ne s’effectue sur la foi d’un diplôme ou d’un titre brandi par un candidat à l’emploi. Les entreprises d’animation ne considèrent que des individus singuliers, et veulent apprécier leurs talents et compétences propres dans le concret d’une tâche précise et d’une configuration particulière de production. Le parchemin n’y fait rien et le nom de l’école, quelle que soit l’appréciation qu’en ont les professionnels, n’est pas non plus décisif : l’expérience prouve qu’il peut y avoir des éléments faibles dans une promotion d’une formation généralement excellente, ou même simplement
Niveau
Définition
V
Personnel occupant des emplois exigeant normalement un niveau de formation équivalent à celui du brevet d’études professionnelles ou du certificat d’aptitude professionnelle, et par assimilation, du certificat de formation professionnelle des adultes du premier degré.
IV
Personnel occupant des emplois de maîtrise ou d’ouvrier hautement qualifié et pouvant attester d’un niveau de formation équivalent à celui du brevet professionnel, du brevet de technicien, du baccalauréat professionnel ou du baccalauréat technologique.
III
Personnel occupant des fonctions qui exigent normalement des formations du niveau du diplôme des Instituts Universitaires de Technologie ou du brevet de technicien supérieur ou de fin de premier cycle de l’enseignement supérieur.
II
Personnel occupant des emplois exigeant normalement une formation d’un niveau comparable à celui de la licence ou de la maîtrise.
I
Personnel occupant des emplois exigeant normalement une formation d’un niveau supérieur à celui de la maîtrise.
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inadéquats aux besoins spécifiques du moment ; symétriquement, il peut se trouver des individus employables qui soient issus de formations de médiocre réputation. La règle ne souffre pas d’exception : une entreprise veut “juger sur pièces” avant d’embaucher.
On pourrait nous objecter que la Convention collective de la production de films d’animation cite explicitement cinq écoles dont elle reconnaît les titres ou diplômes :
31.5. Les diplômes professionnels
A titre indicatif et non exhaustif, les partenaires sociaux ont souhaité positionner quelques-uns des diplômes reconnus dans le milieu professionnel par rapport à la grille de classification.
Ecole de la Poudrière à Valence (26)
Titre de la formation : réalisation de films d’animation Durée de la formation : 2 ans Diplôme délivré : certificat de fin de formation Fonctions visées en fin de formation : 1er assistant réalisateur (catégorie IIIA)
Supinfocom à Aulnoy-les-Valenciennes (59)
Titre de la formation : Réalisation numérique Durée de la formation : 2 ans22 Titre certifié de niveau I, code NSF323n, par arrêté du Journal Officiel du 28/02/2001. Fonctions visées en fin de formation: animateur 3D, infographiste de modélisation, infographiste rendu et éclairage (catégories IIIB).
22 C’est donc ici uniquement le cycle supérieur qui est considéré, passé depuis cette année à 3 ans (cf. chapitre 1).
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Gobelins, l’école de l’image à Paris (75)
1°) Titre de la formation23 : Dessinateur d’animation Durée de la formation : 3 ans Diplôme délivré : certificat consulaire Fonctions visées en fin de formation : animateur 2D, dessinateur d’animation, dessinateur lay-out, (catégorie III B).
2°) Titre de la formation : Animateur infographiste Durée de la formation : 1 an Diplôme délivré : certificat consulaire Fonctions visées en fin de formation : animateur 3D (catégories IIIB).
3°) Titre de la formation : Gestion de production en cinéma d’animation et vidéo (en association avec l’Université de Marne-la-Vallée)24 Durée de la formation : 1 an Diplôme délivré : Licence professionnelle
Fonctions visées en fin de formation : chargé de production (catégorie IIIA)
Ecole des métiers du cinéma d’animation à Angoulême (16)
Titre de la formation : Métiers de l’animation Durée de la formation25 : 2 ans
Diplôme délivré : certificat consulaire
Fonctions visées en fin de formation : animateur 2D/3D, dessinateur d’animation, dessinateur lay-out (catégorie III B).
23 Depuis l’époque de la rédaction de la Convention collective, le titre délivré par Gobelins a été modifié ; il est désormais unique et est ainsi libellé : Conception et réalisation de films d'animation, en 3 ans (cf. chapitre 1). 24 La mention de cette formation, qui fait l’objet d’appréciations contrastées, peut surprendre. 25 3 ans, depuis cette année (cf. chapitre 1).
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C’est ici le caractère indicatif et non exhaustif de ces mentions qu’il faut surtout retenir: dans les faits, la liberté d’appréciation des entreprises quant aux contenus de formation est totale, de même qu’il n’y a pas d’automaticité entre la catégorisation de la fonction visée en fin de formation et le poste réellement occupé lors d’une première embauche. Pour prendre un exemple clair et qui concerne deux formations très appréciées du secteur, le fait que la fonction reconnue en fin de formation de la Poudrière soit en catégorie IIIA et celle de Gobelins en catégorie IIIB n’induit aucune priorité de celle-là par rapport à celle-ci, ni en termes de facilité d’embauche, ni en termes de hiérarchie des fonctions occupées.
On observera enfin que ces catégorisations sont partiellement contradictoires avec les certifications. Ainsi, le titre de réalisateur numérique délivré par Supinfocom, certifié au niveau I26, ne figure cependant qu’en catégorie IIIB pour la Convention collective.
Le paysage des différentes formes et modalités de reconnaissance des titres et diplômes est donc lui aussi touffu et opaque. Il n’offre pas aux entreprises de garantie de lisibilité ni de cohérence. Au demeurant, on l’a dit, elles ne les prennent guère en compte.
L’intérêt des reconnaissances administratives est ailleurs : il vise à rassurer les familles, d’une part, et, d’autre part, les partenaires institutionnels des formations ; c’est donc avant tout un outil de communication pour les écoles.
2.4. Des filières de fait ?
Nous espérons avoir rendu perceptible dans les développements précédents le caractère anarchique du paysage des formations françaises à l’animation. Même en ne retenant que les formations dûment reconnues par le secteur, on doit
26 Dans le paysage très concurrentiel de la formation, la certification de niveau I obtenue par Supinfocom a certainement incité d’autres formations à s’engager à leur tour dans la voie de la certification. Gobelins vient d’ailleurs d’entamer les procédures pour l’obtention d’une certification identique.
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relever l’extrême diversité de leurs contenus, de leurs ambitions, de leurs cadres administratifs, de leurs modalités générales d’organisation. Cette diversité – pour ne pas dire ce chaos – s’explique certes historiquement. Au fur et à mesure que les besoins de l’industrie croissaient en quantité et se diversifiaient en qualité, des formations sont successivement apparues, avec l’ambition de répondre à tel ou tel segment de la demande, qui se sont ajoutées aux deux principales formations professionnalisantes, Gobelins et Supinfocom, déjà bien enracinées.
Mais ce processus a résulté d’initiatives singulières, prises en considération d’intérêts locaux ou privés, sans réelle vue d’ensemble. Le résultat, aujourd’hui, est que l’offre de formation ne présente aucune cohérence globale et consiste en la coexistence empirique de cursus disparates. Il y a certes une offre de qualité, mais cette offre est éclatée ; il n’existe pas de filière organisée de transmission des compétences professionnelles, qui supposerait une gradation raisonnée, des passerelles explicitement décrites de l’une à l’autre. La progression des étudiants, tout au long de leurs années de formation, s’effectue empiriquement à partir de leur choix de formation initial, et en fonction d’opportunités dont ils ne pouvaient que rarement avoir conscience au début de leur parcours.
Il n’y a pas même de consensus sur les contenus et la durée des formations. Chaque école détermine son offre indépendamment des autres, et les étudiants essaient de s’orienter au mieux en fonction de leur information, généralement lacunaire. On voit une nouvelle illustration de ce fonctionnement dans une tendance récente à l’allongement de la scolarité : l’EMCA vient d’augmenter sa formation de 2 à 3 ans, Georges Méliès de 3 à 4 ans, Supinfocom de 4 à 5 ans. Soient 3 des écoles les plus importantes. Que ces décisions soient fondées ou non, elles sont prises de façon unilatérale. Nous n’avons pas entendu dire qu’une enquête préalable aurait interrogé les entreprises sur les évolutions pédagogiques qu’elles pourraient juger nécessaires. On peut donc estimer, dans certains cas au moins, que ces décisions doivent autant à des considérations de stratégie
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“commerciale” ou “communicationnelle” relativement à la concurrence qu’à la prise en compte de nécessités pédagogiques objectives. Faute de filières explicitement décrites et validées, il s’est constitué des parcours privilégiés. Dans le maquis constitué par des formations de nature, d’ambitions et de tutelles différentes, se sont créées empiriquement des “filières”, qui doivent tout au courage des étudiants et rien aux administrations ni aux tutelles. Les DMA, formations de 2 ans, ou l’EMCA jusqu’à cette année, ont régulièrement constitué pour des étudiants la première étape d’un cursus qui les a menés ensuite à Gobelins, au cycle supérieur de Supinfocom ou à la Poudrière. Cette progression a pu même fournir l’occasion de développer, sinon un partenariat, du moins un dialogue entre les formations concernées, comme entre l’EMCA et la Poudrière. Nous ne doutons pas de la richesse d’un tel parcours ni de son efficacité en termes de professionnalisation. Mais nous estimons qu’il serait temps désormais de sortir des fonctionnements empiriques et de dresser une carte claire du paysage, qui permette aux étudiants et à leurs familles de s’orienter en connaissance de cause. C’est là une tâche qui concerne également les structures de formation et les entreprises.
Nous voulons en effet exprimer que la responsabilité des formations n’est pas la seule engagée. Le milieu professionnel dans son ensemble s’est lui aussi satisfait de ce fonctionnement “au petit bonheur”, ouvrant ou fermant la porte de ses studios selon ses besoins ponctuels, sans s’impliquer réellement dans une réflexion d’ensemble. Or il n’y a rien d’hyperbolique à affirmer que les enjeux de la formation sont stratégiques pour une industrie ambitieuse. Il lui faut désormais en prendre la pleine mesure.
Nous indiquerons plus loin quelques pistes concrètes menant dans cette direction.
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2.5. La fuite des talents
La fuite des talents, depuis de nombreuses années, est une “tarte à la crème” des discours sur la formation à l’animation. Pour autant, il ne s’agit pas d’un fantasme. Nous avons signalé dans le chapitre précédent à propos de Gobelins et de Supinfocom – les formations les plus concernées – l’ampleur du phénomène pour les promotions 2006 et 2007, qui ont vu près de 40% de leurs effectifs être embauchés directement par les studios anglais et américains27. Nous avons également relevé ses effets sur le milieu professionnel français, qui ne cache pas son dépit face à des concurrents plus fortunés et plus puissants, ni son aigreur de contribuer financièrement à des formations dont les meilleurs éléments lui sont souvent inaccessibles.
D’autres voix, cependant, se font entendre pour exprimer cette idée que les talents qui s’expatrient, attirés par des projets gratifiants (professionnellement et économiquement) portés par des studios prestigieux, sont susceptibles de revenir en France après quelques années, avec des savoir-faire enrichis dont l’industrie française bénéficiera à son tour.
L’un et l’autre point de vue a sa part de vérité et chacun ou presque est bien obligé de reconnaître qu’aucune mesure contraignante n’est envisageable pour mettre fin à cet exode. Le phénomène est très probablement durable, et il doit être pris en compte autrement que sur le mode contradictoire de la récrimination protectionniste ou de l’angélisme aveugle.
Le préjudice pour l’industrie française est réel. Guère sur le plan quantitatif : il est essentiellement, pour la période présente28, circonscrit à Gobelins et aux deux écoles Supinfocom. Des étudiants issus d’autres formations sont eux aussi amenés à s’expatrier, mais pas dans les mêmes proportions, et pas sous l’effet
27 Les incertitudes du contexte économique mondial semblent cependant avoir minoré le phénomène pour les promotions 2008. 28 Parmi les autres formations, l’ESMA est sans doute la plus susceptible de vouloir faire du développement international un axe privilégié.
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d’un démarchage systématique des entreprises anglo-américaines. Ce sont donc de 40 à 50 étudiants fraîchement diplômés qui s’expatrient chaque année. Le déficit qualitatif est plus sensible, en ce sens que ce sont les têtes de promotion qui sont en général recrutées à l’étranger. S’y ajoute le fait – qui excède les problématiques de la formation mais n’en est pas moins préoccupant – que les mêmes studios étrangers cherchent aussi à recruter des “seniors” dans les studios français.
S’il serait exagéré de parler d’hémorragie, on ne peut nier un préjudice pour l’industrie hexagonale. En effet, ce phénomène intervient dans un contexte où l’animation française a clairement besoin de ses meilleurs talents pour, d’une part, continuer à bien figurer sur le marché difficile et de plus en plus compétitif de la télévision et, d’autre part, poursuivre l’effort de développement d’un marché du cinéma dont les critères de qualité sont les plus exigeants.
La question nous semble particulièrement critique s’agissant des compétences en animation : nous verrons en effet dans le chapitre 3 qu’elles sont déjà déficitaires. On peut ici faire mention d’une initiative opportune : Gobelins et CITIA29 ont engagé depuis peu une réflexion commune sur l’hypothèse de la création à Annecy d’une formation à l’animation 3D. Il s’agirait d’une formation de 12 mois au minimum, recrutant une quinzaine d’étudiants de niveau bac + 2 ou de professionnels souhaitant approfondir leur maîtrise de l’animation 3D, et visant à atteindre un niveau égal à celui la formation actuelle de Gobelins en animation. L’ouverture de ce site pourrait être envisagée à l’automne 2010. L’amplification de l’effort de formation à des compétences précisément identifiées, et avec l’excellence comme objectif, est certainement l’une des principales réponses que l’on peut apporter à la fuite des talents.
29 CITIA est l’Etablissement public de coopération culturelle qui organise notamment le Festival et le Marché international du film d’animation d’Annecy. C’est l’une des 3 structures qui constituent le cluster/pôle de compétitivité Imaginove.
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2.6. La question de la “labellisation”
Nous avons largement insisté précédemment sur le caractère anarchique du paysage de la formation, dont l’une des manifestations est l’extrême disparité de la qualité des formations proposées. Pour les jeunes et leurs familles, à la recherche de formations réellement professionnalisantes, mais aussi pour les studios et entreprises d’animation préoccupés de recruter des compétences avérées, la question d’une “labellisation” des formations doit désormais être posée.
Alors que la France, pays qui rassemble certainement le plus grand nombre de formations d’excellence, a laissé jusqu’à présent la question sans réponse, une initiative privée s’en est saisi, pour la résoudre au mieux de ses intérêts. Elle émane de la société Sony Pictures Imageworks, désormais l’un des grands de la production mondiale d’animation.
Sony Pictures Imageworks a créé le programme IPAX (Imageworks’ Professional Academic Excellence) en 2004 avec l’ambition affirmée de lier le monde de la formation et celui de l’industrie de l’animation et des effets visuels : en diffusant dans les formations retenues les savoir-faire de Sony Pictures Imageworks ; en participant à l’élaboration des cursus ; en aidant à la mise en réseau des formations et en assurant la présence dans les écoles de ses personnels pour identifier, inspirer et recommander à l’industrie les futurs talents.
Les écoles deviennent membres du programme IPAX au terme d’un processus de sélection rigoureux. En juin dernier, elles étaient au nombre de 18, dont seulement deux formations non-américaines: la Filmakademie Baden- Württemberg, en Allemagne, et Linköpings Universitet, en Suède. L’objectif initial d’IPAX, avec son internationalisation, s’est élargi : créer un programme global unique, qui rassemble les meilleurs programmes en animation, effets
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visuels, technologie, informatique graphique et gestion de production. L’intérêt du studio américain est évident : il s’agit pour lui d’un avantage stratégique majeur. En France l’ESMA, de Montpellier, était en juin dernier fortement engagée dans son processus de reconnaissance par Sony et avait bon espoir de pouvoir bénéficier du label IPAX.
Exagère-t-on en avançant que l’on est ici en présence de la mise en œuvre d’un programme pédagogique global, directement inspiré par un studio particulier en considération de ses besoins spécifiques, et prétendant à devenir une norme internationale ? D’autres formations françaises de qualité seront-elles tentées de suivre l’exemple de l’ESMA, ne serait-ce que pour les besoins de leur communication ?
La situation que nous décrivons, caractérisée par une offre de formation à la fois foisonnante et anarchique, doit à notre sens conduire à poser une exigence, celle d’une information sincère et vérifiée, et pose une question, celle d’une « labellisation » fiable et compétente. Nous reviendrons plus en détail sur ces deux points dans notre chapitre de conclusion.
2.7. Les possibilités du dialogue Le chef d’œuvre de Jan Svankmajer est nécessairement, pour le monde de l’animation, source d’inspiration et de méditation. Il donne à voir, littéralement, le chaos consécutif à l’absence de dialogue ou à son échec. Or, s’agissant de formation, le dialogue est, au mieux, notoirement insuffisant, parce que seulement ponctuel et empirique. Nous l’avons suggéré plus haut, le dialogue entre les formations est très peu développé. Même à ne considérer que les formations les plus reconnues, on peut constater que chacune campe dans son pré carré, avant tout soucieuse d’affirmer son identité propre et de conforter sa réputation. Un événement comme les e- Magiciens, organisé à Valenciennes depuis 1999, s’efforce (entre autres
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objectifs) de rassembler différentes écoles sur une base internationale à l’occasion de Forums formation d’une journée, mais cette réunion n’a pas donné lieu jusqu’à présent à une problématisation des enjeux et des pratiques. Il s’agit davantage d’une juxtaposition d’exposés très succincts présentant différents projets pédagogiques, mais sans réflexion ni débat. Il n’est au demeurant fréquenté, au niveau français, que par les responsables de certaines écoles. D’assez nombreuses tables rondes sur la formation se sont tenues ces dernières années dans tels ou tels événements professionnels. L’intérêt en est faible, réduit là encore à un défilé de catalogues promotionnels.
Tout se passe comme si les meilleures écoles, satisfaites de leurs résultats, voulaient ignorer que leur activité s’inscrit dans un contexte plus large : peu ou pas d’échanges, peu ou pas de collaboration, aucune réflexion commune. Le fait est d’autant plus remarquable à l’intérieur des frontières que plusieurs d’entre elles ont engagé des collaborations avec des écoles étrangères dont en général elles se félicitent. L’Animation Workshop de Viborg, au Danemark, est ainsi un partenaire apprécié de plusieurs formations françaises ; d’autres formations, européennes ou américaines, sont engagées dans des relations construites, prévoyant notamment des échanges d’étudiants, avec certains de leurs homologues français. Mais en France, la concurrence, ou du moins la rivalité, semble inhiber tout désir de dialogue.
Le dialogue avec le milieu professionnel est lui aussi insuffisant ; en caricaturant à peine, on dira qu’il se réduit le plus souvent à une relation de fournisseur à client. Cette situation est certainement dommageable pour les écoles comme pour les entreprises et nous proposerons d’y remédier. Mais il faut avant cela comprendre que les deux groupes d’acteurs obéissent à des logiques différentes, qu’il importe de comprendre et de respecter également.
Les logiques pédagogiques et les stratégies d’entreprises sont distinctes. Ce constat d’évidence peut cependant être explicité. La temporalité des unes et des autres ne saurait se confondre : les “bonnes” formations fonctionnent sur un
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temps long, avec un horizon à plusieurs années ; les entreprises d’animation n’ont guère de visibilité au-delà de leur prochaine production : en termes d’embauches, elles raisonnent à court terme, quand ce n’est pas à terme immédiat. Pour résumer leurs visions respectives d’une image, on dira que les écoles ont tendance à la presbytie, les entreprises à la myopie. Les possibilités de dialogue se heurtent par conséquent à une difficulté structurelle qu’il serait vain d’ignorer.
Les écoles ne font que remplir leur mission en dispensant des formations aux métiers et non aux outils, en développant une compréhension de l’ensemble de la chaîne et non un savoir-faire ponctuel. C’est à ces conditions que les futurs professionnels seront, non seulement réellement compétents dans les tâches qui leur seront confiées, mais aussi capables d’évoluer dans un environnement technique et économique changeant. Il est important que les entreprises comprennent et respectent cette vocation, et résistent à la tentation d’“instrumentaliser” la formation. Symétriquement, les entreprises sont confrontées à des contraintes fortes de compétences et de compétitivité auxquelles elles doivent impérativement répondre. Les écoles doivent reconnaître la réalité de ces contraintes, qui modèlent les possibilités professionnelles concrètes de leurs étudiants. Les pédagogues doivent repousser la tentation d’un splendide isolement et de l’ignorance des contraintes du marché.
Dans la période présente, le respect et la compréhension mutuels restent rhétoriques. Il y a certes des points de rencontre entre la Formation et l’Entreprise, mais insuffisants. La présence dans les équipes pédagogiques de vacataires issus directement des studios est l’un de ces points de rencontre. Nous avons signalé l’intérêt de cet
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apport, qui est évident, et nous insisterons fortement sur son absolue nécessité30 dans toute formation à visée professionnalisante. Les jurys de fin d’études, lorsqu’ils accueillent certains de ses représentants, constituent aussi une utile manifestation du monde professionnel dans la formation. Avec cette légère réserve que les jurys sont davantage l’occasion, pour les studios, d’une course à l’embauche des étudiants jugés les meilleurs, que d’une réflexion sur les méthodes et contenus pédagogiques, laquelle, de toute façon, n’interviendrait qu’a posteriori, lorsque la formation est achevée. Enfin, les stages, dont nous avons déjà relevé la nécessité, participent du même effort de rapprochement des logiques.
On doit aussi mentionner des exemples de collaborations bilatérales, entre telle école et tel studio, lorsque celui-ci juge celle-là particulièrement en phase avec ses besoins. Il arrive alors que le studio “libère” plus volontiers certains de ses cadres pour intervenir dans l’école, accueille plus facilement les stagiaires issus de l’école et les embauche ensuite dans des proportions régulières. Quelques binômes école/studio ont pu ainsi se constituer ces dernières années, pour un profit mutuel. Mais ce caractère bilatéral porte en lui-même ses limites, et notamment le germe d’un progressif et insidieux rétrécissement des perspectives. Il demeure que de tels échanges permettent d’approcher ce que pourrait (devrait) être une politique construite de dialogue entre écoles et entreprises.
On signalera rapidement aussi les bienfaits d’une initiative du diffuseur, Canal J, qui organise depuis quelques années, en collaboration avec le SPFA, le CNC et la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques), le concours Les espoirs de l’animation. La chaîne impose un thème chaque année aux écoles participantes, que les étudiants doivent traiter sous la forme d’un court métrage achevé, soumis ensuite à deux jurys (dont un jury de professionnels). En 2007, 7
30 Le manque de moyens dont souffrent les formations dépendant de l’Education nationale fait à cet égard sentir ses néfastes effets.
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écoles avaient participé, qui avaient présenté un total de 42 films. Au-delà de l’intérêt promotionnel de l’obtention éventuelle d’un prix, l’intérêt pédagogique est souligné par toutes les écoles. Répondre en temps limité à un travail de commande est un exercice évidemment formateur, de même que la relation avec un donneur d’ordres.
L’insuffisance du dialogue peut être illustrée par des exemples précis : deux lacunes, notamment, sont fréquemment déplorées par le milieu professionnel dans les contenus de formation. La première concerne l’information des étudiants sur les réalités concrètes du milieu : comment cette industrie fonctionne-t-elle, quelle est sa chaîne de valeur, quelles sont les responsabilités des différents acteurs, quelles sont ses contraintes économiques, sociales, administratives, réglementaires et légales ? Toutes ces questions et d’autres du même ordre sont très généralement ignorées. Il est certain qu’elles ne passionnent pas a priori des jeunes gens qui se perçoivent d’abord comme des créateurs. Cette ignorance est cependant dommageable pour leur bonne insertion dans la vie professionnelle. Or, si certaines écoles font un effort pour y remédier, ce n’est pas le cas majoritaire. Il nous semblerait hautement recommandable qu’elles intègrent à leurs cursus une information fondamentale sur le secteur. Elles pourraient pour cela faire appel aux entreprises, certes, mais tout autant aux organismes institutionnels concernés, aux syndicats, aux sociétés d’auteurs, etc.
Une deuxième lacune porte sur ce que l’on pourrait appeler “l’apprentissage de la productivité”. Le constat initial est simple et très généralement partagé : au sortir de l’école, les nouveaux diplômés, même talentueux et compétents, ne sont pas en mesure de s’intégrer efficacement à une équipe de production. Un temps d’adaptation, variable, est nécessaire. Il est juste de signaler que, pour certains responsables de studios, c’est là un phénomène parfaitement normal et donc une responsabilité que le studio doit accepter et assumer. Pour d’autres cependant, les étudiants pourraient être davantage familiarisés par leurs écoles
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avec la notion de productivité. Un des professionnels que nous avons rencontrés l’exprime nettement : C’est la grande faiblesse des écoles. Quand ils sortent, les jeunes n’ont pas la notion du temps qu’ils mettront à faire un travail précis. Les studios doivent faire pression sur ce point sur les écoles et y intervenir. La maîtrise du planning est fondamentale31. Quant aux formations en alternance, force est de constater que, pour la plupart, elles ne sont pas adaptées au rythme et au calendrier d’activité des studios qui subissent les contraintes de livraison imposées par leurs clients partenaires financiers.
Ces deux exemples montrent qu’il peut y avoir débat sur certains contenus de formation. Mais, au-delà des contenus particuliers, c’est une concertation d’ensemble qui fait défaut. Une réflexion générale est nécessaire sur un certain nombre de questions, parmi lesquelles revêtent une importance particulière celles relatives à l’intelligence économique, à la veille technologique, et plus que tout à l’organisation raisonnée de la formation (contenus, durées, inter- relations entre écoles et avec les studios).
Le chantier est conséquent : il s’agit de rien moins que de définir une politique globale de la formation, et ce de façon nécessairement collégiale. Les protestations de bonne volonté ne sauraient suffire, et pas davantage des conversations informelles. Ce travail en commun, si le principe en est accepté par le monde de la formation comme par celui de l’entreprise, devra être structuré. Les habitudes prises et entretenues jusqu’à présent s’y opposent. Tirer les leçons des meilleures pratiques (qui sont nombreuses), inventorier les tendances lourdes à l’œuvre dans le secteur, mettre en place des modalités régulières de concertation sur la formation et l’emploi, tous ces axes de travail exigent un cadre régulier, un espace permanent d’échanges et de réflexion. Formations et entreprises doivent accepter de se structurer pour répondre à cette
31 Une meilleure prise en compte des attentes des entreprises pose en creux la question, controversée, des formations en alternance. Elles sont en général peu appréciées des studios. Néanmoins, la question pourrait faire l’objet d’un débat et d’une concertation – aujourd’hui absente – entre formations et entreprises.
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exigence. Pour impulser cette démarche que nous jugeons souhaitable, nous proposons la tenue d’“Etats généraux de la formation”, rassemblant les acteurs légitimes du secteur de l’animation. Ils auraient pour mission de procéder à une “mise à plat” complète des pratiques et des usages, tant pédagogiques que professionnels, et d’en déduire les conditions d’une collaboration efficace entre écoles et entreprises.
D’ores et déjà, il nous semble nécessaire que les entreprises, notamment par le biais de leurs organisations représentatives, essentiellement dans ce secteur le SPFA, formalisent leur implication dans les enjeux de formation. Il leur appartiendrait naturellement de définir les contours et modalités de fonctionnement de l’instrument qu’elles estimeraient adapté. Ledit instrument devrait avoir pour objectif d’être le vecteur d’un dialogue organisé avec les formations. L’observation qualitative et quantitative du marché de l’emploi, le suivi des marchés internationaux et des évolutions techniques, la réflexion sur les méthodes peuvent et doivent alimenter ce dialogue.
Un optimisme raisonné peut ici prévaloir. Le SPFA a accompli jusqu’ici un travail structurant pour le secteur dont chacun reconnaît la qualité. Il a su entretenir des relations constructives avec les pouvoirs publics comme avec ses partenaires économiques et ses partenaires sociaux. Il serait difficilement compréhensible que la formation soit le seul domaine dont il se désintéresse. Il est au demeurant membre d’une CPNEF, structure paritaire susceptible d’accueillir, en relation avec les pouvoirs publics et l’OPCA, une réflexion sur la formation professionnalisante.
Symétriquement, la réflexion des écoles responsables doit elle aussi être organisée sur les sujets d’intérêt général, et s’incarner dans un réseau.
Nous sommes conscients de nous exposer au reproche de vouloir créer “une- structure-de-plus” (ou plutôt deux!), reproche assorti des connotations de lourdeur, d’inefficacité, de perte de temps... Ecoles comme entreprises sont bien
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sûr parfaitement libres de leur choix, mais elles ne le sont pas d’ignorer que les termes en sont les suivants : la poursuite d’un fonctionnement individuel et au jour le jour, ou la mise en œuvre d’une réflexion mutualisée, avec une vision.
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Chapitre 3 Le marché de l’emploi
3.1. Le dynamisme du secteur
Le secteur français de l’animation témoigne d’un dynamisme indiscutable. Nous ne citerons ici que quelques grands indicateurs, qu’on peut trouver développés et explicités dans la documentation régulièrement actualisée par le CNC, le SPFA ou TV France International pour ce qui concerne les exportations audiovisuelles. La production française d’animation se situe au troisième rang mondial en volume et au premier rang européen. Elle est responsable d’environ 300 heures de programmes audiovisuels par an, en moyenne mobile sur 5 ans. Elle n’alimente pas seulement les écrans françaiset réalise d’excellentes performances internationales, puisque l’animation est le genre le plus fortement exportateur de l’audiovisuel français : en 2007, l'animation a représenté 35% des ventes et 54% des préventes de la production audiovisuelle française.
Le long métrage apparaît de son côté comme un relais de croissance non négligeable, avec 4 à 6 longs métrages d’animation produits par an, dans un contexte de forte progression globale : l’animation représente désormais entre 12 à 15% du marché des salles en France.
Outre les mérites propres – artistiques, organisationnels et commerciaux – de la production française, cette situation doit beaucoup au système français de soutien à la production qui a accompagné le secteur depuis le milieu des années 1980. Ce système a connu dans la période récente des évolutions significatives, dont les effets ont été clairement positifs. En 2004, les aménagements apportés au Compte de soutien aux industries de programmes du CNC et la mise en place du crédit d’impôt cinéma, élargi en 2005 aux œuvres audiovisuelles, ont
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efficacement incité à la localisation sur le territoire français de dépenses de fabrication. La combinaison de ces dispositifs avec les mesures de soutien adoptées par plusieurs collectivités territoriales a placé les entreprises françaises dans une situation avantageuse relativement à leurs concurrents.
3.2. Contexte national et international
Cependant, alors que tous les indicateurs semblaient positifs, des incertitudes de natures diverses ont affecté le secteur, notamment dans le courant des années 2008 et 2009.
Le marché français
Sur le plan national, la décision présidentielle de supprimer les écrans publicitaires sur les chaînes de service public après 20 h a créé une onde de choc dont les effets se font encore sentir. La question de la compensation du financement perdu, de son montant réel, de sa pérennité a été – et reste pour une part – au cœur des interrogations des différents acteurs. L’inquiétude est légitime lorsqu’on observe que le groupe France Télévisions représente environ 60% du financement par les chaînes hertziennes. La première conséquence en a été un gel de la commande, le groupe répugnant à s’engager dans un contexte aussi incertain, avec des conséquences évidentes sur l’activité des entreprises et leur trésorerie. La situation se présente aujourd’hui de la façon suivante : l’Etat garantit 450 M€/an jusqu’à 2011, soit un trou de financement de 350 M€/an devant être couvert par les ressources issues de la publicité diffusée avant 20 h, du parrainage, de la publicité sur les sites Internet. Il est raisonnable d’estimer que les ressources publicitaires avant 20 h sont appelées à diminuer (avant de disparaître à leur tour, selon la volonté présidentielle initiale) et que le déficit de financement ne pourra être comblé. Or, aux yeux de certains observateurs, la seule variable d’ajustement dont France Télévisions puisse disposer est le volume de programmes commandés aux producteurs indépendants. Selon le
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Contrat d’Objectifs et de Moyens en cours de finalisation, les engagements du groupe dans la production patrimoniale devraient être de 375 M€ en 2009, avec 15 M€/an d’augmentation jusqu’en 2012, soit 420 M€. Les organisations de producteurs jugent l’accord satisfaisant, mais l’incertitude porte sur l’aptitude de France Télévisions à honorer ses engagements.
Par ailleurs, quid du financement après 2011 ?
Sur ce fond d’incertitude, le secteur a cependant enregistré récemment de réels motifs de satisfaction, puisque une batterie d’accords avec les diffuseurs a permis de sécuriser, et même d’augmenter, le volume des financements. TF1 et M6 ont signé des accords interprofessionnels qui “sanctuarisent” les obligations en vigueur. Ils prévoient des investissements de 0,6% du chiffre d’affaires/an pour TF1, et de 1 %/an pour M6. Les accords signés avec France Télévisions portent sur 27 M€/an (et au moins 55 M€ sur 2 ans). Il est donc permis d’évoquer une tendance ferme à la sécurisation des investissements des diffuseurs.
On doit encore mentionner une autre incertitude affectant le marché de l’audiovisuel, et singulièrement celui de la production jeunesse, celle relative à une possible interdiction de la publicité alimentaire. Le débat a été vif et, selon toute probabilité, n’a été tranché que provisoirement. Une charte a été signée entre professionnels de la culture et de la santé, qui a permis d’éviter l’interdiction, mais on peut considérer que l’effervescence antérieure a déjà produit ses effets : des annonceurs se sont retirés et les chiffres d’affaires publicitaires sont en fort recul sur toutes les chaînes. Aujourd’hui, la suppression de la publicité alimentaire - et la perte de ressources induite pour les diffuseurs – est une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de la production. Il s’agit là d’une tendance lourde au plan international, ce qui donne à penser que le compromis récemment trouvé au plan national sera tôt ou tard remis en question.
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La situation est contrastée sur le front du long métrage. On a noté plus haut l’évolution générale positive de ce marché, qui a pris une consistance indiscutable en quelque 10 ans. Le succès de Kirikou et la sorcière, de Michel Ocelot, a donné une impulsion décisive et peut être aujourd’hui considéré comme un événement fondateur. Des faiblesses structurelles doivent cependant être relevées.
La première concerne le niveau des financements mobilisés sur le marché domestique. Il peut être à l’heure actuelle jugé trop faible, dans un contexte d’augmentation des devis, pour garantir la fabrication des films sur le territoire français. Par ailleurs, les films d’animation français peinent à franchir la barrière de l’international ; un marketing et une distribution insuffisants peuvent être invoqués, ainsi sans doute que le contenu éditorial même des films. Un bilan systématique des succès et échecs des films français, examinés à la fois sous l’angle de leurs projets cinématographiques respectifs et des moyens mis en œuvre pour les fabriquer et les faire accéder au marché serait peut-être un exercice éclairant.
Ces points faibles ne doivent pas faire oublier que le chemin parcouru est considérable et que la tendance reste orientée positivement. Ce marché spécifique est devenu attractif pour de nouveaux acteurs, parfois venus du monde du cinéma en vues réelles ; il génère des projets nouveaux sur un rythme soutenu et il a clairement élargi le champ des publics potentiels pour l’animation. Ces avancées doivent permettre d’envisager favorablement le développement du marché du cinéma. C’est là sans doute une nécessité stratégique pour le secteur de l’animation, que fragiliserait une dépendance trop directe du marché de la télévision et du marché enfants. Des conditions multiples doivent évidemment être réunies pour assurer ce développement : la disposition de talents artistiques, de compétences technico-scientifiques, de savoir-faire organisationnels de haut niveau est certainement l’une d’elles.
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Le marché international
Le marché de l’animation, audiovisuelle comme cinématographique, est planétaire. Les entreprises françaises sont donc également affectées par ses évolutions, comme elles le sont par les mouvements généraux de l’économie mondiale.
On peut procéder à un premier constat : la part du financement international dans l’animation française est aujourd’hui moindre qu’il y a 10 ans. D’autres facteurs sont moins positifs, comme l’apparition régulière de nouveaux acteurs du marché, au niveau des entreprises comme à celui des territoires. L’univers de concurrence se durcit.
Au-delà de ces phénomènes, la contagion de la crise financière à l’économie “réelle” ne peut manquer d’avoir des conséquences sur le secteur de l’animation, dont toutes ne sont pas aujourd’hui prévisibles. Il paraît certain que la contraction du marché de la publicité se fera également sentir au niveau international, entraînant un tassement des investissements et des commandes ; en outre, le resserrement du crédit fragilise d’une manière générale les entreprises les plus vulnérables. On peut sans doute redouter des défaillances, et prévoir des concentrations consécutives. Certaines entreprises sont déjà frappées. Un studio d’animation de création récente en France, financé par un investisseur international lui-même touché par la crise financière, et qui devait embaucher plus de 200 personnes dans la perspective d’un long métrage, a dû au contraire licencier pour ne conserver qu’une équipe très réduite aux perspectives incertaines.
La France est cependant moins exposée – en matière de production audiovisuelle – que d’autres pays. Elle bénéficie d’un système de soutien institutionnel à la production qui joue un rôle d’amortisseur et évite à ses entreprises de prendre de plein fouet les effets de la crise.
Mais d’autres questions se posent, qui alimentent d’autres incertitudes:
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comment la crise actuelle, et à travers quelles cascades d’effets, affectera-t-elle les pays émergents qui comptent désormais parmi les acteurs importants du marché : Chine, Inde, Corée du Sud ? Il est aujourd’hui impossible de l’anticiper.
3.3. Plein emploi ?
Les mesures prises en 2004 et 2005 ont prouvé leur efficacité en termes de localisation de l’emploi, comme tend à le démontrer le tableau ci-dessous (source Afdas), qui fait apparaître l’augmentation de la masse salariale sur la période 2005-2007.
2005 + de 10
- de 10
Total
2006 + de 10
- de 10
Total
2007 + de 10
- de 10
Total
Masse salariale Permanents
20 752 073
5 273 640
26 025 713
23 969 927
6 535 903
30 505 830
27 076 774
6 580 546
33 657 320
dont CDD
1 883 214
590 120
2 473 334
897 899
791 973
1 689 872
1 400 497
649 769
2 050 266
Masse salariale Intermittents
27 514 552
15 572 235
43 086 787
25 315 031
18 781 405
44 096 436
31 248 539
16 853 047
48 101 586
Total
48 266 625
20 845 875
69 112 500
49 284 958
25 317 308
74 602 266
58 325 313
23 433 593
81 758 906
Quelle est aujourd’hui la situation de l’emploi ? Elle est, au premier regard, contrastée, ou du moins la perception qu’en ont les différents acteurs : des représentants syndicaux évoquent un nombre important de chômeurs, tandis que
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les responsables d’entreprises, quasi unanimes, parlaient jusqu’à très récemment de plein emploi, et même de déficits de compétences sur certains postes, analyse corroborée par les responsables des meilleures formations. Mais il est désormais patent que le secteur a connu fin 2008 et début 2009 un réel ralentissement de l’activité et que l’horizon s’est obscurci.
Sans entrer dans un débat d’économistes, on tiendra pour généralement admis que le plein emploi n’implique pas un taux de chômage égal à zéro, mais plutôt un taux de chômage incompressible, d’ailleurs variable d’un pays à l’autre. On se souviendra par ailleurs qu’il existe une typologie du chômage, qui distingue notamment un chômage saisonnier, conjoncturel, ou structurel.
Avant d’aborder l’énoncé des déficits de compétences relevés par les entreprises, nous proposerons pour celles-ci, à notre tour, une typologie en trois parties, selon leurs mises en œuvre techniques et/ou la place qu’elles occupent dans la chaîne de valeur. Nous distinguerons donc32 :
- des entreprises utilisant majoritairement des outils 2D numériques (Flash, After Effects, Harmony, différents logiciels propriétaires, etc.), pouvant intervenir sur tout ou partie de la chaîne de fabrication ;
- des entreprises utilisant majoritairement des outils 3D (Maya et XSI essentiellement, 3DS à l’occasion, tous d’ailleurs propriétés de l’éditeur Autodesk), pouvant intervenir sur tout ou partie de la chaîne de fabrication ;
- des entreprises “transparentes” à l’endroit des techniques, mais privilégiant un modèle prévoyant le développement littéraire et graphique, jusqu’au storyboard inclus, en France, l’animation et parfois un pré- compositing chez un sous-traitant localisé dans un pays à faible coût de main d’œuvre, le retour en France (ou dans un territoire impliqué par des accords de coproduction) du compositing final et de la postproduction. Ce
32 Ces distinctions ne prétendent à aucune valeur “scientifique” et ne doivent notamment pas être comprises comme des catégories absolument étanches.
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modèle est préférentiellement celui de la “série lourde”, pratiquée par une
dizaine d’entreprises en France. Ces trois types d’entreprises signalent des difficultés à recruter, mais inégalement réparties. Ce sont le début et la fin de la chaîne de fabrication qui posent le moins de problèmes : les entreprises ne signalent aucune difficulté particulière concernant les différentes étapes du développement graphique ni non plus sur les étapes de compositing et en général de post-animation. De la même façon, on ne semble pas non plus manquer de décorateurs. On remarquera aussi que les entreprises s’estiment globalement satisfaites de la qualité des compétences disponibles sur ces différents postes. On risquera donc à titre d’hypothèse que, si chômage il y a, il doit concerner prioritairement des personnels intervenant dans les phases de préproduction, décors et compositing. La question du “nomadisme” entre le secteur de l’animation et celui du jeu vidéo pouvait paraître revêtir une certaine actualité. En l’absence d’un instrument statistique pour le mesurer, les entretiens que nous avons réalisés ne font pas apparaître que ce phénomène ait une ampleur significative. Les mouvements semblent d’ordre individuel et dictés par des préférences personnelles. Les entreprises de l’animation ne l’évoquent pas spontanément, ni dans un sens ni dans l’autre, ni non plus les rares acteurs du jeu vidéo qui ont accepté de nous répondre. Les différences culturelles et sociales qui marquent l’un et l’autre secteur demeurent des discriminants forts.
3.4. Les compétences déficitaires L ’animation Ce sont sur les deux premières catégories d’entreprises que les mesures d’incitation à la localisation des dépenses de fabrication, combinées aux mesures territoriales de soutien à la production, ont produit leurs effets les plus sensibles.
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La conséquence la plus évidente en a été une augmentation significative des besoins en animateurs aguerris aux technologies numériques, 2D comme 3D. Ce phénomène se trouve amplifié par le caractère toujours plus concurrentiel du marché mondial, qui a entraîné une élévation très sensible, sur tous les postes, des exigences qualitatives. Le niveau des prestations asiatiques s’est lui aussi amélioré. Le passage à la Haute Définition a également créé l’obligation de produire une image de meilleure qualité, qui plus est avec des contraintes de cadrage nouvelles et difficilement maîtrisées. L’émergence d’un marché du long métrage, enfin, ne fait évidemment que renforcer cette évolution qualitative et l’appel à des compétences plus relevées.
Le manque d’animateurs est aujourd’hui unanimement constaté par les studios, aussi bien sur le marché de la production télévisuelle que sur celui du long métrage. Il entraîne les effets classiques de toute pénurie de compétences : volatilité accrue des personnels, tendance à l’inflation salariale, tentations du débauchage entre entreprises concurrentes. Si les animateurs, individuellement, trouvent dans cette situation des possibilités accrues d’évolution professionnelle et de rémunérations plus attractives, les entreprises sont confrontées à un resserrement préoccupant de leurs marges de manœuvre : elles évoquent, d’une part, un enchérissement de leurs coûts de main d’œuvre dans un contexte de stagnation des budgets ; elles se plaignent davantage encore de l’obligation dans laquelle elles se trouvent de plus en plus fréquemment, soit de devoir différer le démarrage de certaines productions, soit, le plus souvent, d’employer des animateurs dont le niveau de qualification est insuffisant relativement à la qualité finale projetée.
La situation est comparable en animation traditionnelle, en 2D numérique et en 3D. L’animation traditionnelle, en France, ne concerne plus guère que le long métrage : malgré cela, il semble qu’il soit hautement problématique de réunir une équipe si un autre long métrage en traditionnel se trouve en fabrication dans la même période. L’animation de type Flash est par excellence la technique dont
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la productivité autorise la localisation française, souvent pour des produits pour préscolaires de moindre difficulté. Mais, même pour cette animation d’“entrée de gamme”, la concurrence est rude entre les studios - et entre les territoires ! – pour fixer les équipes. Les disparités salariales d’un studio à l’autre, mais tout autant d’un territoire à l’autre, notamment entre les Régions et Paris, sont évidemment pour beaucoup dans les mouvements de personnels. La difficulté ne fait que s’aggraver avec les ambitions : les animateurs sous After Effects sont l’objet de toutes les convoitises, et l’un de nos interlocuteurs a évoqué devant nous à leurs sujets une inéluctable “guerre des intermittents” à très court terme. Même constat ou presque pour l’animation 3D : la série de haut de gamme et le long métrage peinent à recruter les talents nécessaires en nombre suffisant. Si un ou deux studios plus prestigieux parviennent à sécuriser leur recrutement, tous ne peuvent y parvenir, et d’autant moins lorsque des projets se font directement concurrence.
La pénurie d’animateurs est suffisante aujourd’hui pour que plusieurs studios aient initié des politiques de recrutement international. Elles portent aussi bien sur la recherche d’animateurs 2D traditionnels et numériques et d’animateurs 3D ; elles ne sont pas circonscrites à l’Europe, mais concernent aussi bien l’Asie, l’Amérique du Nord, la Nouvelle Zélande ou l’Australie. Nous avons même rencontré l’exemple d’un studio qui cherche à pérenniser ce recrutement international par des accords passés avec certaines formations universitaires américaines.
Ce phénomène nous semble s’être développé jusqu’à présent dans une relative discrétion, mais il n’a pas un caractère exceptionnel : il est le fait de plusieurs entreprises et est devenu récurrent. Ainsi donc, s’il est vrai que la France “exporte” des compétences, elle est aussi contrainte d’en importer pour satisfaire ses besoins immédiats.
Stagnation des budgets, compétences rares, élévation des standards de qualité... L’exercice s’apparente, pour nombre de producteurs et de studios, à la
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quadrature du cercle. La pénurie d’animateurs fait évidemment ressurgir le spectre d’un nouveau cycle de délocalisation massive. Elle est tout autant un frein structurel au développement du secteur du long métrage dont on a dit qu’il pouvait être le relais de croissance de l’industrie.
Le storyboard
“La pénurie de bons storyboarders” est un constat qui fait l’objet du même consensus chez les responsables d’entreprises que la pénurie d’animateurs. C’est aussi un constat ancien, qu’on trouvait formulé en termes identiques il y a 10 ans, alors que la pénurie d’animateurs est un phénomène beaucoup plus récent. Pour autant, c’est un constat vivement contesté par les salariés, au point que la question de la pénurie ou non de (bons) storyboarders a toutes les apparences d’un thème de conflit social.
L’unanimité des entreprises sur ce point est impressionnante : on manque de bons storyboarders. Il en faudrait davantage et de haut niveau pour répondre à la fois à la diversité des genres et des formats, et aux défis de la concurrence internationale. Les reproches se concentrent essentiellement sur une approche qui serait seulement technique et non cinématographique, avec pour corollaire l’application de recettes récurrentes, le développement d’effets sans signification, bref, une insuffisante maîtrise de la narration et une médiocre prise en compte des intentions de réalisation. Ces insuffisances sont jugées fortement pénalisantes pour la série ; elles le sont davantage encore pour le long métrage. A ces critiques, sévères, sur le fond, et qui mettent explicitement en cause des carences de la formation, s’ajoutent des récriminations sur la “fiabilité” des storyboarders, volontiers accusés d’abandonner trop facilement une production en cours pour une autre éventuellement mieux rémunérée et/ou plus intéressante. Bref, les storyboarders abuseraient de leur rareté pour imposer à la réalisation et à la production leurs conditions, professionnelles, artistiques et financières.
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Les storyboarders font observer quant à eux que ces reproches font bon marché de la réalité de l’exercice de leur métier. Le storyboard reste le seul (en France) des métiers de l’animation qui soit payé à la tâche. Or, là où un épisode de 26’ comptait 350 plans il y a encore quelques années, il peut aujourd’hui en compter 400 et parfois même beaucoup plus, à réaliser dans le même temps (de l’ordre de 6 semaines) sans que les rémunérations aient augmenté en proportion. Au point que ces exigences toujours plus fortes auraient persuadé de nombreux storyboarders d’abandonner cette spécialisation.
Il ne nous appartient pas de nous prononcer ici sur la dimension sociale du différend. Mais nous pouvons insister sur cette difficulté : le caractère industriel de la série a induit une division du travail et des exigences de productivité qui ont fait du storyboard une tâche technique, alors que chacun reconnaît qu’il ne peut se réduire à cela : il est une étape du processus créatif, porteuse des intentions de narration et de mises en scène.
La plupart de nos interlocuteurs dans les entreprises ont relevé que les formations initiales n’accordaient pas au storyboard dans leurs cursus toute l’importance qu’il devrait avoir. Beaucoup plaident pour qu’il fasse l’objet d’un enseignement spécifique dans le cadre d’une spécialisation. C’est là un autre des points sur lesquels un dialogue entre entreprises et formations gagnerait à être formalisé.
Le storyboard est par ailleurs l’objet de changements profonds dans sa pratique même, liés à la mise en œuvre progressive d’une chaîne de fabrication numérique complète. Le storyboard sur écran tend à se répandre et l’on peut estimer que ce processus est irréversible. Il rencontre cependant des résistances sérieuses et argumentées : l’une tient au fait que la réponse du dessin sur tablette n’est pas parfaite ; une autre à des insuffisances de l’outil qui inhiberaient tout gain de productivité. Ces reproches sont recevables aujourd’hui – même si tous ne les formulent pas - mais n’ont de validité que transitoire. La continuité numérique est un argument fort en termes de productivité comme de confort de
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travail, voire de responsabilisation. Elle implique cependant une fluidification des frontières entre les étapes de fabrication et sa logique pousse à étendre le storyboard à l’animatique33. Les formations devront prendre là encore la mesure de ces évolutions, en évitant bien sûr de confondre le métier et l’outil.
L’accompagnement de production
Les responsabilités d’assistant(e)s de production, de chargé(e)s de production et de directeurs/directrices de production concentrent beaucoup de doléances et de critiques. Là encore, de l’avis quasi général, c’est la grande pénurie. On s’arrache les bons, dit l’un, lamentable, juge l’autre, incompétences dangereuses, déplore un troisième, turnover important.... La litanie est longue et pourrait être prolongée. Toutefois, si l’on peut se permettre un peu d’ironie sur un sujet sérieux, on observera que le drame est toujours situé dans le passé et plutôt chez les autres : pour ce qui est du présent, chacun a en général trouvé des solutions... Il est vrai qu’on imagine difficilement un producteur admettre que les productions en cours sont mal gérées au point d’induire ruptures de qualité, dépassements de budgets et de délais, conflits avec les prestataires et les salariés, etc.
Les compétences attendues pour la direction de production sont multiples et les personnes qui les détiennent peuvent en effet être considérées comme des “oiseaux rares” :
- la connaissance des différents pipelines (2D, 3D, hybrides multiples) et la maîtrise du passage d’une technologie à une autre ;
- gestion d’une production sur sites distants, parfois délocalisés ; - gestion des embauches ; - gestion des budgets et plannings ; - animation et gestion des équipes ;
- communication avec la réalisation et la (co)production.
33 Avec les risques de frictions sociales induits, déjà perceptibles... 95
A quoi on ajoutera des compétences de caractère artistique, permettant d’alerter au plus tôt la réalisation en cas de difficulté sur ce plan ; et aussi une bonne connaissance de l’anglais, langue des échanges internationaux, sans laquelle “la machine à fabriquer des malentendus” se met en marche avec des conséquences rapidement catastrophiques.
En clair, la gamme des compétences nécessaires est très large, et à la mesure des responsabilités, qui sont très lourdes. La réalité du terrain indique que les compétences disponibles, le plus souvent, ne portent que sur une partie de cette gamme et sont défaillantes sur les autres. Le constat partagé est donc que la pénurie est sévère et se décline aux différents niveaux de responsabilité de l’accompagnement de production.
L’offre de formation initiale – singulièrement l’offre spécifique de la licence professionnelle délivrée par Gobelins/Marne-la-Vallée (cf. supra : chapitre 1) – ne répond pas aux besoins du secteur, même s’il est vrai que le jugement porté sur elle par les entreprises est contrasté. On lui reproche essentiellement d’être trop courte, et d’obéir au principe de la formation en alternance. Observons d’autre part qu’une autre formation, délivrée par l’Institut Ingémédia, dépendant de l’Université de Toulon, demeure mal connue du secteur de l’animation alors que des collaborations profitables pourraient sans doute être développées.
Les critiques à l’endroit des formations demeurent cependant mesurées, du fait certainement que les entreprises sont bien conscientes du fait que les compétences attendues en direction de production ne peuvent être acquises et dominées qu’au travers d’une expérience professionnelle particulièrement riche. Certains font cependant observer que la formation initiale à la direction de production délivrée par la FEMIS – donc, pour le cinéma en vues réelles – suppose un cursus de quatre années ; or, la complexité d’une production d’animation est le plus souvent bien supérieure. On en concluera que l’animation n’a pas pris la réelle mesure des enjeux. Beaucoup en appellent donc à une réflexion plus poussée sur les voies et moyens d’une formation initiale
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adaptée. La nécessité en apparaîtra peut-être plus contraignante encore si l’on se représente que les évolutions technologiques à l’œuvre dans la fabrication de programmes d’animation tendent à une complexification et à une ramification toujours croissantes des processus de production. Pour le dire simplement, le nombre des éléments qui composent une production est toujours plus important et leur variété toujours plus large, rendant les processus de validation plus lourds et, bien sûr, les erreurs plus pénalisantes. La gestion raisonnée de ces données multiples et interdépendantes suppose de plus en plus l’assistance d’outils informatiques dédiés, qu’il faut “calibrer” pour chaque production nouvelle, et évidemment maîtriser. Au point que l’“asset management” est désormais un enjeu particulier pour toute production de quelque ampleur, série lourde ou long métrage. C’est là sans doute une dimension supplémentaire de la direction de production à laquelle les formations ne font pas suffisamment droit.
Tout ceci nous incline à penser qu’il n’est pas trop tôt pour que les formations et les entreprises concernées engagent une réflexion conjointe sur les nouvelles réalités de la production, les méthodes et les outils, et les contenus de formation induits. Enfin, la situation actuelle de pénurie fait clairement de la direction de production un enjeu pour la formation professionnelle continue.
Recherche & développement
On pourrait estimer que nous sommes ici aux frontières du périmètre de cette étude, puisque les personnels concernés ne sont pas des artistes-techniciens de l’animation au sens propre du terme. De fait, les formations que nous avons citées – à l’exception sans doute d’ATI – n’ont pas vocation à former des développeurs.
On ne peut ignorer cependant l’importance décisive de ces compétences pour toute une catégorie de studios qui ont pris ces dernières années une place de premier plan dans le secteur de l’animation : nous voulons parler d’entreprises historiquement définies comme des studios de postproduction et d’effets visuels
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qui ont vu dans la production d’œuvres d’animation, et singulièrement de longs métrages, un prolongement naturel de leurs activités et une application possible de leurs compétences en matière d’imagerie numérique. Mac Guff Ligne, Buf Compagnie sont emblématiques du fait de leur implication soutenue dans la production de longs métrages, mais d’autres pourraient être citées : Mikros Image, Duran... D’autres structures, comme Attitude Studio, n’ont pas la même histoire mais sont également apparues dans le champ de l’animation avec pour caractérisation fondatrice une forte détermination technico-scientifique ; elles aussi ont fait du long métrage un de leurs terrains d’élection.
Ces studios ont un besoin permanent de développement pour créer, maintenir et optimiser leurs outils, améliorer conjointement leur productivité et la qualité de leurs images. Pouvoir relever ce double défi industriel et esthétique est stratégique pour ces studios, directement confrontés à la double concurrence de studios anglo-américains plus puissants et de studios indiens et extrême- orientaux moins chers. Renforcer leurs équipes de développement, les aider à devenir plus encore une alternative attractive sur le marché international sont des objectifs nécessaires et qui certes ne se réduisent pas à un enjeu de formation. Pour autant, la formation devrait y aider. C’est aujourd’hui un manque flagrant dans l’offre disponible. C’est la raison pour laquelle le projet d’une formation d’ingénieurs dédiée à l’animation, comme celui porté par l’Ecole Georges Méliès (cf. chapitre 1) revêt un intérêt tout particulier34.
34 On citera pour mémoire les écoles d’ingénieurs dont sont issus les développeurs d’un grand studio parisien de postproduction : École d'ingénieurs en télécommunications de l'Institut Galilée (Paris 13) ; Ecole nationale d'ingénieurs de Brest (ENIB), section Informatique ; Ecole nationale supérieure d’ingénieurs de Caen/DEA Intelligence artificielle et algorithmique ; École supérieure d'ingénieurs de Marseille, Mastère Image et son ; École Nationale Supérieure des Télécommunications) ; Génie informatique à l'Université de technologie de Belfort Montbéliard ; Image multimédia audiovisuel communication, Université de Marne-La-Vallée.
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Nouvelles techniques, nouveaux outils
Dans le droit fil du paragraphe précédent, on doit relever que des possibilités de représentation et/ou de travail de l’image, apparues ces dernières années, sont difficilement prises en compte par les formations à l’animation, avec pour conséquence pour les entreprises des difficultés à recruter les personnels capables de les mettre en œuvre.
C’est typiquement le cas de la capture de mouvement, laquelle pourtant n’est plus dans l’enfance depuis longtemps et s’est faite une place substantielle dans le monde de la production, tant de séries que de longs métrages. Une certaine crispation de caractère esthétique, l’évolution très rapide et polymorphe de cette technique, sa “gourmandise” en termes d’espace et d’équipements contribuent sans doute à expliquer l’ostracisme dont elle est l’objet de la part des formations à l’animation. Il n’en demeure pas moins que cette technologie existe bel et bien en production et n’est certainement pas vouée à disparaître demain. On ajoutera qu’elle ne peut se réduire à un déploiement d’outils : elle induit des contraintes et des possibilités qui lui sont propres et réclame, au-delà de la maîtrise technique, la compréhension d’enjeux de représentation, de narration et de mise en scène spécifiques.
Il semble également que les formations peinent à intégrer les apports des technologies “temps réel”. Celles-ci ne peuvent se réduire à leurs applications évidentes dans le champ du jeu vidéo. D’assez nombreux exemples peuvent être cités désormais de l’intérêt de leur apport pour l’animation précalculée : les possibilités de prévisualisation rapide qu’elles offrent en préproduction, un renouvellement de l’approche de l’animation elle-même, voire du rendu témoignent fortement de leur intérêt, ne serait-ce qu’en termes de gains de productivité sur certains moments de la chaîne de fabrication.
Le “zéro papier”, pour l’animation 2D, est enfin une tendance lourde et généralisée. Y préparer les futurs professionnels est une nécessité absolue.
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Répétons ici – etinsistons-y lourdement ! – qu’il ne s’agit nullement de substituer la connaissance d’outils à la maîtrise d’un métier. Il s’agit au contraire d’élargir à de nouveaux outils les possibilités d’application du métier. L’erreur serait – et elle a déjà été maintes fois commise – de mettre un outil de storyboard numérique, par exemple, entre les mains de personnes ignorant le storyboard, ou un logiciel d’animation temps réel entre les mains de personnes ignorant le langage de l’animation. Le métier doit rester premier. Mais, pour garantir de pouvoir l’exercer dans le monde “réel”, l’apprentissage des nouveaux outils, aujourd’hui et demain, est une obligation.
3.5. Refuser le malthusianisme
Nous avons relevé plus haut plusieurs incertitudes affectant le marché national et international de l’animation. Nous avons par ailleurs souligné la différence nécessaire de temporalité entre le monde de la formation et celui de l’entreprise, celui-là fonctionnant à l’horizon du moyen terme, celui-ci à l’horizon du court terme. On comprend dès lors facilement qu’une inquiétude fondamentale s’exprime de façon récurrente chez les formateurs responsables comme au sein des personnels en activité : ne formons-nous pas trop ? Les étudiants d’aujourd’hui sont-ils les chômeurs de demain ? Sur cette inquiétude s’articule parfois l’ambition d’une adéquation prévue et mesurée entre le nombre de jeunes diplômés apparaissant chaque année sur le marché du travail et le nombre de jeunes professionnels réclamés par les entreprises.
Disons-le tout net: la quantification du nombre d’emplois à pourvoir et, récursivement, du nombre de jeunes à former serait à notre sens une entreprise illusoire. Même dans une période historique marquée par une plus grande stabilité que celle que nous connaissons, il serait vain de prétendre anticiper les embauches du secteur : en premier lieu parce que les équilibres concurrentiels, au sein du territoire national mais surtout au niveau mondial sont en permanence évolutifs. Le contexte économique général, évidemment, mais aussi les
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contextes particuliers au niveau social, fiscal, technologique, voire politique, sont mouvants et ne sont pas – n’ont jamais été - susceptibles d’être modélisés et prévus. C’est là une vérité d’évidence mais qu’il importait peut-être de rappeler. Dans le paysage du marché mondial de l’animation, comment peut-on caractériser la situation particulière de la France ? Il serait intéressant de consacrer à cette question une réflexion plus fine et plus systématique, mais les grands traits en sont tout de même connus. Le secteur français de l’animation a su gagner, conserver et développer des parts de marché importantes. Mais il est clair qu’il accuse un différentiel sensible, en termes de qualité technico- artistique comme d’impact économique, avec l’industrie américaine, tout particulièrement sur le marché à fort développement du long métrage ; il est par ailleurs menacé en permanence par la concurrence des “pays émergents”, historiquement favorisés par leurs moindres coûts de main d’œuvre et désormais aussi – dans le cas de l’Inde, notamment - par leur investissement massif dans les technologies nouvelles. C’est pourquoi, nous l’avons noté plus haut, le défi à relever est double : il faut répondre simultanément au défi de la qualité lancé par l’industrie américaine, et au défi de la productivité lancé par les pays émergents. La tâche est évidemment très ardue, mais la France est peut-être le territoire le mieux armé pour l’affronter.
S’il reste vrai que les entreprises françaises sont fragilisées par leur manque de fonds propres, pénalisées par des charges lourdes, parfois par des taux de change défavorables, le secteur dans son ensemble n’est pas dépourvu d’atouts majeurs. L’un d’entre eux est l’organisation d’un système de soutien institutionnel qui permet d’amortir les coups et contrecoups de la crise financière et économique ; un autre est la constitution au fil des années d’une expertise solide en production et fabrication ; un troisième, et celui qui nous intéresse ici, est l’existence d’un tissu de formations d’excellence. Ces formations doivent permettre demain à l’industrie française de mobiliser les compétences artistiques, techniques, organisationnelles qui la rendront plus compétitive. Nous n’avons pas eu, au
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travers de nos différents entretiens, le sentiment que le milieu professionnel avait une conscience claire de l’atout stratégique dont il disposait avec la qualité des meilleures formations françaises. Ce serait un mérite adjacent d’un dialogue refondé entre les deux parties que de l’aider à s’en persuader.
La conclusion s’impose par conséquent à nos yeux que l’effort de formation ne doit surtout pas s’interrompre ; il doit au contraire se fortifier en visant toujours davantage à l’excellence. C’est une nécessité pour l’industrie française, c’est aussi une garantie pour les futurs professionnels : ceux d’entre eux qui auront bénéficié des formations les plus exigeantes et les plus ambitieuses seront les mieux protégés des éventuelles convulsions du marché du travail, les plus susceptibles de s’adapter à de nouvelles donnes. Si donc l’on veut éviter de “former des chômeurs”, il faut former toujours mieux.
La leçon peut se révéler cruelle pour les personnels plus âgés, fragilisés par cette course à l’innovation technico-artistique. Elle doit être tempérée par cette réalité que l’expertise, acquise par l’expérience professionnelle, constitue par elle- même une valeur ajoutée dont les studios ont aussi un besoin vital. Il n’en reste pas moins que le secteur n’a pas d’autre choix que d’améliorer sans cesse ses contenus en optimisant ses méthodes.
C’est là aussi un des principaux enjeux des problématiques de la formation professionnelle continue.
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Chapitre 4 Conclusions et préconisations
4.1. Une offre surabondante et illisible pour les non-initiés
L’offre de formation initiale à l’animation en France est surabondante, avec plus de 40 formations répertoriées. Il s’est développé depuis quelque 10 ans un marché de la formation anarchique, dans le désordre institutionnel et la confusion pédagogique.
Ce paysage est illisible pour les non-initiés, et donc pour la plupart des jeunes et de leurs familles. On ne peut y retrouver ni filières balisées, ni objectifs mesurables, ni plan d’ensemble. Conditions de recrutement, coûts des scolarités, contenus et méthodes pédagogiques sont largement arbitraires et ne font l’objet d’aucune appréciation indépendante; diplômes ou titres délivrés, sont dépourvus de signification pratique. C’est une jungle.
Pour s’y orienter, une seule boussole, mais très efficace, est aujourd’hui disponible, le critère de l’embauche par les entreprises du secteur. Encore faut-il lui donner la publicité nécessaire. Cette situation est évidemment dommageable pour les étudiants et les familles, également pour les entreprises.
4.2. Une quinzaine de formations reconnues
Notre enquête fait ressortir une quinzaine de formations réellement professionnalisantes et pleinement reconnues par le milieu professionnel. Elles couvrent une assez large gamme de propositions, en termes d’objectifs pédagogiques, de spécialisation professionnelle, ou de durée des cursus (de 2 à 5 ans). Elles peuvent être directement concurrentes, ou complémentaires. Ces formations sont d’un très bon niveau et certaines peuvent même prétendre à une
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forme d’excellence. Elles constituent un atout important pour l’industrie française de l’animation. Un autre groupe de formations est éventuellement susceptible de se hisser au niveau des premières ; un troisième, de l’ordre de la vingtaine d’unités, apparaît, selon les entreprises rencontrées, dépourvu de légitimité.
Les formations les plus sérieuses – et donc les plus efficaces – ont en commun quelques traits fondamentaux : une sélection initiale rigoureuse ; la mise en avant du métier et non de l’outil, assortie d’une forte exigence de technicité ; le développement de la compréhension globale du processus, de l’aptitude à la polyvalence et au travail en équipe, même en cas de spécialisation finale forte ; un lien organique avec le milieu professionnel. Ce faisceau de critères peut servir de base à une labellisation éventuelle.
4.3. Un marché de l’emploi complexe
Le marché national et international est marqué par un certain nombre d’incertitudes fortes, qui rendent hautement conjecturale une vision à moyen terme. La sécurisation des investissements des diffuseurs dans le secteur, d’une part, l’efficacité des dispositifs de soutien institutionnels de l’autre, permettent d’espérer que la production française d’animation pourra mieux résister que certaines de ses concurrentes aux difficultés actuelles de l’économie mondiale. La production de long métrage, en dépit de ses difficultés récurrentes de financement, doit toujours être considérée comme un possible relais de croissance, dans une fourchette de 4 à 6 longs métrages/an.
Le “trou d’air” qui affecte depuis quelques mois la production relativise nécessairement les déficits de compétences constatés. Mais la concurrence internationale n’en sera pas moins exigeante, au contraire, et les déficits constatés dans la période récente pas moins pénalisants ; ils risquent même de le devenir plus encore dès la sortie de crise, au moins pour un certain nombre de
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qualifications précises. Sont particulièrement concernés : l’animation 2D et 3D, le storyboard, l’accompagnement de production. On y ajoutera la faiblesse structurelle des studios français en matière de R&D et un manque de compétences “pointues” associées à des développements technologiques précis (mocap, temps réel...). Participe de ces déficits une tendance confirmée à la fuite de certains talents vers l’étranger.
Dans ce contexte, il importe de refuser la tentation du malthusianisme et de poursuivre un effort de formation orienté vers l’excellence. C’est l’une des conditions qui peut permettre à l’industrie française de relever le double défi de la qualité et de la productivité auquel elle est confrontée sur le marché mondial.
4.4. Préconisations L’exigence d’information La surabondance de l’offre de formation initiale et sa qualité très inégale imposent un devoir d’information, à destination des jeunes et de leurs familles, mais tout autant de l’ensemble du milieu professionnel. Un premier travail pourrait être facilement et rapidement mené : il consisterait en un relevé empirique des formations auxquelles les entreprises du secteur reconnaissent une vertu professionnalisante. Le SPFA, organisation la plus représentative des entreprises du secteur, aurait qualité pour établir ce relevé. Précisons qu’à ce stade, ce document n’aurait pas à se prononcer sur les méthodes et contenus pédagogiques, mais seulement sur le résultat factuel : la réalité des embauches au terme de la formation. Une publicité suffisante donnée à cette liste d’écoles, sa transmission aux organismes d’orientation pédagogique notamment, permettrait d’informer efficacement les familles sur les débouchés potentiels de ces formations. Le même document aurait également une vertu pour les entreprises en élargissant leur information à l’ensemble de l’offre existante.
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Cette première – et nécessaire – étape devrait être prolongée et amplifiée par un annuaire des formations à l’animation, complétant l’information par un descriptif des formations citées, indiquant leur durée, leurs programmes, leurs débouchés spécifiques, leurs coûts, etc. Une telle initiative, d’une mise en œuvre simple, serait à notre sens rapidement efficace. Elle servirait les intérêts des familles, mais tout autant des écoles responsables et des entreprises. Et elle satisferait au devoir qui doit être celui de tout secteur économique envers le corps social.
La collecte et la diffusion de toutes informations pertinentes sur le marché de l’emploi, une centralisation des offres d’emploi, qu’on trouve aujourd’hui éparses et incomplètes sur certains sites Internet, seraient d’autres initiatives pertinentes, tendant à une meilleure lisibilité du secteur pour toutes les parties concernées.
Créer les instruments du dialogue
Logiques de formation et contraintes de marché coexistent sans guère se confronter. Les formations ont tendance à se prémunir contre les ingérences pédagogiques, réelles ou supposées, et, symétriquement, les entreprises ont tendance à ne se préoccuper de formation que lorsqu’elles rencontrent une difficulté de recrutement.
Hors de rencontres ponctuelles et, parfois, de relations bilatérales entre un studio et une école, les deux parties n’entretiennent pas de dialogue formalisé. C’est une lacune dommageable. Elle ne saurait se combler qu’en rupture avec les habitudes et les usages dominants, et sans doute les conforts qu’ils permettent. Le passage à une étape de développement maîtrisé exigerait donc, de l’une et l’autre part, une réforme des fonctionnements.
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Nous n’avons pas le temps de parler aux écoles. Qui peut se payer quelqu’un pour réfléchir à la formation ?, nous a déclaré un responsable de studio. La formule est brutale et peut-être exagérée. Elle décrit cependant une réalité. Il est temps pour le milieu professionnel d’envisager des formes collégiales de réflexion. Nous estimons particulièrement nécessaire, de la part des entreprises de l’animation, un effort de structuration spécifique pour répondre aux enjeux, actuels et futurs, de la formation. Cet effort devrait avoir pour initiateur le SPFA, qui offre les garanties nécessaires de légitimité et de représentativité, et qui devrait par conséquent se donner les moyens d’une politique véritable en matière de formation, sous des formes qu’il lui appartiendra de définir. Symétriquement, les organismes de formation devraient se doter d’une forme de représentation, se constituer en un réseau capable de porter l’échange et le dialogue, entre eux d’une part, avec le monde professionnel et les institutions concernées d’autre part.
Les piliers d’une nouvelle architecture de la formation
Le chantier, pour les diverses parties prenantes, est conséquent: il s’agit d’engager une réflexion collégiale de caractère stratégique, articulée notamment sur les tâches suivantes : • introduire une lisibilité aujourd’hui absente dans le maquis des formations : par une mise à plat des cursus, rendant possible un balisage des parcours de formation, et peut-être la détermination de filières, sinon de droit, du moins de fait, avec l’indication des principales scansions (bac + 2 ? bac + 3 ? bac + 5 ?) et des possibilités d’approfondissement ou de complément éventuelles ;
• chercher à déterminer des “formats” de formation. Un modèle de cursus de 3 ans, qui rassemblerait les suffrages de beaucoup, ne devrait-il pas être étudié, avec l’explicitation de ses pré-requis (et donc des préparations éventuellement nécessaires), comme des possibilités d’approfondissement ultérieures ?
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• mutualiser la collecte et la diffusion de l’information en matière d’intelligence économique et de veille technologique. Les évolutions des marchés et des techniques sont évidemment décisives pour la formation et l’emploi.
Cette réflexion collective nous semble désormais nécessaire pour introduire, non seulement une lisibilité, mais aussi une rationalité, dans un paysage aujourd’hui abandonné au jeu quasi aveugle d’actions et de réactions empiriques. Mais il s’agit bien de construire une nouvelle architecture et cette ambition a nécessairement un coût, en temps de travail, en investissement intellectuel, et donc, “au bout du compte”, un coût économique. Il appartiendra aux différents acteurs de déterminer s’ils sont prêts à l’assumer.
Les voies d’une labellisation
Nous avons insisté sur une première exigence, celle d’une information sincère. Une première réponse empirique peut, nous l’avons dit, être apportée par les entreprises. Mais, pour moraliser durablement l’offre de formation et en garantir l’efficacité et la qualité, il serait nécessaire de passer rapidement à une étape plus ambitieuse, mais plus complexe, celle d’une labellisation. La difficulté est ici de mettre en place des procédures fiables, qui fassent droit aux spécificités fortes du secteur de l’animation, dans le cadre d’une structure capable de réunir des compétences incontestables.
Une procédure existe, bien que rarement activée, qui serait susceptible de satisfaire à ces exigences. Nous citerons ci-après un document du CNC qui la décrit : La loi du 6 janvier 1988 relative aux enseignements artistiques prévoit que le ministre de la Culture puisse attribuer la reconnaissance de l’Etat à des établissements privés qui dispensent dans des conditions strictes une formation visant à l’exercice professionnel. Le CNC est chargé de l’instruction des dossiers relevant du cinéma et de l’audiovisuel.
108
Pour demander à bénéficier de la reconnaissance, les établissements intéressés doivent :
- avoir une durée d’existence supérieure à celle de leur plus long cursus ou de « ans minimum ;
- avoir pour vocation d’apporter à leurs élèves des connaissances théoriques ainsi que la maîtrise des pratiques artistiques, et ce en vue d’un exercice professionnel des compétences qu’ils auront acquises ;
- relever de l’enseignement privé. Un avis est rendu par une commission présidée par le Directeur général du CNC ou son représentant qui statue après avoir entendu les conclusions d’un rapporteur et auditionné les chefs d’établissement. Le rapporteur examine si les critères fixés par le décret du § mars 1988 sont bien respectés (procédures de sélection et d’admission garantissant l’égalité entre les candidats, évaluation régulière des connaissances, présence d’enseignants qualifiés, ressources financières pérennes...). La commission est composée de 6 personnalités qualifiées nommées pour 5 ans par arrêté du ministère de la Culture et de 6 membres de droit : le Directeur général du CNC ou son représentant ; le chef du service chargé de la formation au CNC ou son représentant; le chef du service chargé des industries techniques de l’image et du son au CNC ou son représentant ; un inspecteur général de l’Education nationale ; le délégué au développement et aux affaires internationales ; le chef du département de l’éducation et des formations, des enseignements et des métiers ou son représentant. Le CNC en assure le secrétariat. (...) la décision ministérielle de reconnaissance (a) une validité de 5 ans. Les effets de la reconnaissance :
- doter l’ établissement d’ un label de compétences dans son domaine d’enseignement à former de jeunes professionnels capables d’intégrer le marché de l’emploi et d’y évoluer ;
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- valoir agrément du ministère de la Culture pour recevoir des dons déductibles des bénéfices imposables aux termes de l’article 238 bis du code général des impôts.
Trois écoles de cinéma ont à ce jour obtenu la reconnaissance à la suite de cette procédure : la FEMIS (1994), le CEEA (2001), l’école d’animation de la Poudrière (2005).
Vers des “Etats généraux” de la formation ?
Nous n’avons certes pas la prétention, dans cette étude, de dresser un catalogue complet des mesures à prendre. La légitimité, en l’espèce, ne saurait venir que du terrain. Nous avons également conscience que d’autres pistes de réflexion pourront surgir, dégagées par les responsables des formations et des entreprises, mais également par les professionnels considérés individuellement ou par certains organismes institutionnels. Le chantier est considérable, et à la mesure de l’anarchie et de l’absence de vision stratégique qui ont prévalu jusqu’à présent.
Nous suggérons en conséquence la tenue d’“Etats généraux de la formation”, rassemblant toutes les parties prenantes, et dont la première mission serait de procéder à un inventaire raisonné des pratiques, des moyens et des enjeux. Ils devraient déboucher sur des procédures pérennes et formalisées de dialogue et d’échange.
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II. Les incertitudes de la formation professionnelle continue
L’actualisation et le développement des compétences sont stratégiques dans un secteur qui est, d’une part, traversé par des évolutions technologiques à la fois rapides et profondes, et, d’autre part, soumis à une concurrence internationale intense. La conséquence pratique pour les entreprises est l’obligation dans laquelle elles se trouvent d’actualiser et d’optimiser, d’une production à la suivante, non seulement les compétences à mobiliser, mais tout autant leurs modalités d’organisation générale et d’interdépendances, avec l’enjeu adjacent de fidéliser les équipes.
Il n’est pas indifférent, par ailleurs, de constater que quelque 80 % des personnels des studios sont constitués d’intermittents du spectacle, situation qui induit des difficultés spécifiques pour la mise en œuvre d’actions de formation continue.
Au-delà de ces vérités de portée générale, certaines constatations formulées dans la première partie de l’étude permettent de cerner plus précisément les enjeux de la formation professionnelle continue :
- les entreprises d’animation relèvent de façon quasi unanime des déficits de compétences, constatés surtout à propos des tâches d’animation, 2D et 3D, de storyboard, d’accompagnement de production ;
- la généralisation de l’usage des technologies numériques, conjuguée à la relocalisation récente de certains travaux sur le territoire français, a eu pour effet d’amplifier l’appel des entreprises à de jeunes professionnels formés à ces techniques, parfois au détriment de professionnels plus âgés qui n’ont pas su ou pas pu répondre à ce “choc technologique” ;
111
- en dépit, pour certaines, de leur excellence, les formations initiales intègrent difficilement à leurs cursus certaines avancées ou ruptures technologiques déjà présentes dans les procès de production ou appelées à le devenir.
Sur ces trois points au moins, les dispositifs de formation professionnelle continue doivent être conçus comme des outils efficaces d’adaptation à un contexte professionnel mouvant, susceptibles d’augmenter et d’améliorer les compétences mobilisables, de sécuriser les parcours professionnels, d’optimiser la place des entreprises françaises sur les marchés. En l’état, ils n’y parviennent guère: ils apparaissent surtout comme des possibilités empiriques de “replâtrages” ponctuels, qui ont certes l’important mérite d’exister, mais s’inscrivent dans un marché myope et anarchique, dépourvu de vision stratégique.
Une meilleure expression des besoins des entreprises est indispensable dans ce domaine, ainsi qu’une adaptation des dispositifs existants qui ne sont guère praticables pour des studios en pleine activité. La CPNEF et l’AFDAS seraient évidemment les lieux adaptés pour que la discussion s’engage sur ces questions.
112
Chapitre 5
Les missions de l’Afdas et son fonctionnement
En France, pour le secteur du cinéma d’animation, l’Afdas – fonds d’assurance formation des secteurs de la culture, de la communication et des loisirs – est au cœur des dispositifs encadrant la formation professionnelle continue. Ayant constaté plusieurs fois, dans le cours de notre enquête, certaines imprécisions ou ignorances du milieu professionnel relativement aux missions et fonctionnements de l’Afdas, nous commencerons par en rappeler les traits principaux35.
La formation professionnelle continue est organisée par la loi du 16 juillet 1971, qui dispose initialement que les entreprises de 10 salariés et plus doivent contribuer au financement de la formation professionnelle de leurs salariés. En septembre 1972, l’ A fdas est créé par les organisations professionnelles d’employeurs et de salariés du spectacle vivant et du cinéma. En plus de 35 années d’existence, le champ d’intervention de l’Afdas s’est élargi et comprend aujourd’hui sept branches d’activité distinctes : exploitation cinématographique et distribution de films; édition phonographique ; espaces de loisirs et d’attractions ; publicité ; distribution directe ; audiovisuel et production cinéma, branche qui concerne le champ de la présente étude. Dans le cadre d’un principe de mutualisation des contributions obligatoires des entreprises, l’Afdas est en charge de la collecte, de la gestion des demandes de financement et des budgets, de l’encadrement du dispositif et de son adaptation aux conditions particulières d’emploi des intermittents du spectacle.
Le dispositif de la formation professionnelle s’est progressivement diversifié, avec la création du congé individuel de formation (CIF) en 1983, les formations en alternance en 1985, la validation des acquis de l’expérience (VAE) en 2003.
35 Voir documentation complète en annexe.
113
Une nouvelle étape est franchie avec la loi du 4 mai 2004 sur le formation tout au long de la vie : elle pose le droit individuel à la formation (DIF), rénovant les règles de la formation en alternance (contrat de professionnalisation, période de professionnalisation) en même temps que sont augmentées les contributions des entreprises et réorganisées les modalités de financement des différents dispositifs de formation professionnelle tout au long de la vie.
Gérant les demandes des entreprises, des salariés permanents et des salariés intermittents, l’Afdas est à la fois :
- un Organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) de branche ; - l’OPCA des salariés intermittents du spectacle, puisqu’elle se substitue aux employeurs multiples des salariés sous CDD d’usage ;
- un Organisme paritaire agréé au titre du congé individuel de formation (OPACIF) pour l’ensemble des salariés des secteurs qu’il couvre.
Le financement de l’Afdas résulte donc en premier lieu des contributions des entreprises, obligatoires depuis 1992 dès la première embauche. Pour la branche professionnelle Audiovisuel et production cinéma, les taux de contribution des entreprises pour les salaires versés en 2007 étaient respectivement de 1% à 1,6 % de la masse salariale brute (MSB) pour les salariés sous CDI et CDD, et de 2,15 % de la MSB pour les intermittents du spectacle.
Peuvent s’y ajouter un certain nombre de financements complémentaires, régionaux, nationaux et européens suivant les actions menées par l’Afdas.
La structure opérationnelle de l’Afdas prend la forme d’un Conseil d’administration, de Conseils de gestion par branche d’activités pour les salariés permanents, de Conseils de gestion spécifiques pour les CIF d’une part, et les salariés sous CDD d’usage du spectacle d’autre part, et enfin de commissions paritaires propres aux catégories professionnelles des salariés intermittents du spectacle (artistes interprètes, musiciens, techniciens cinéma et audiovisuel,
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technicien du spectacle vivant). Représentants des employeurs et des salariés y siègent à parité et se réunissent tous les deux mois. Le secteur de l’animation dispose de mandats au sein des commissions suivantes de l’Afdas :
- Le Conseil de gestion Audiovisuel et production cinéma ; - Le Conseil de gestion des congés individuels de formation ; - Le Conseil de gestion des intermittents ; - La Commission paritaire des techniciens du cinéma et de l’audiovisuel, qui
retient, dans une offre qui lui est soumise, les stages à inscrire au plan de formation des techniciens intermittents du cinéma et de l’audiovisuel.
L’accès aux dispositifs de formation selon les catégories de salariés A. Les salariés permanents de l’audiovisuel
• Plan de formation de l’entreprise Il rassemble l’ensemble des actions de formation définies dans le cadre de la politique de gestion des ressources humaines de l’entreprise. L’élaboration du plan de formation est assurée sous la pleine et entière responsabilité du chef d’entreprise en lien avec les représentants du personnel. Son financement est assuré, pour les entreprises de plus de 10 salariés, sur le budget du « plan de formation de l’entreprise », dont la gestion peut être ou non confiée à l’Afdas. En ce qui concerne les entreprises de moins de 10 salariés, la contribution légale réservée au financement du « plan de formation » est versée intégralement à l’Afdas, qui en assure une mutualisation au bénéfice de toutes les entreprises de moins de 10 salariés. On notera que le principe de la mutualisation des contributions implique que le soutien financier de l’Afdas à une entreprise de moins de 10 salariés pour une action de formation peut excéder largement le montant du versement annuel de ladite entreprise, dans la limite d’un plafond fixé annuellement.
115
Dans ce dernier cas, la participation de l’Afdas au financement s’inscrit dans la limite de plafonds annuels, dépendant de la masse salariale de l’entreprise36.
Les stages non conventionnés ne sont pas systématiquement pris en charge ; nature, durée et prix d’un stage font l’objet d’une étude administrative préalable. On citera encore deux conditions restrictives qui peuvent avoir leur importance dans un secteur comme celui de l’animation, dont les besoins sont très spécifiques :
L’Afdas ne participe pas au financement des actions de formation demandées par une entreprise pour ses propres salariés, lorsque la formation est dispensée par l’entreprise elle-même, qu’elle soit ou non déclarée organisme de formation.
L’Afdas ne prend pas en charge les actions de formation dispensées par un organisme de formation dès lors qu’elles sont destinées à des salariés d’entreprises dont les instances dirigeantes se retrouvent au sein de l’organisme lui-même.
• Plan de formation de la branche Audiovisuel et production cinéma Depuis 2007, sous l’égide du Conseil de gestion de l’Audiovisuel et de la production cinéma, un plan de formation de branche à caractère collectif a été instauré au sein de l’Afdas afin de mieux accompagner les priorités de formation inhérentes à l’ensemble de la filière. Il est constitué chaque année de thèmes de formation dont la prise en charge est entièrement assurée sur les fonds mutualisés de l’Afdas, sans diminution des autres possibilités de formation à la disposition des entreprises et des salariés permanents.
• Droit individuel à la formation Ce dispositif permet au salarié de se constituer un “capital formation” de 21 heures par an et cumulables sur six ans, mobilisable à son initiative, mais en
36 cf. Modalités de financement 2009 en annexe. 116
accord avec l’employeur, pour suivre une formation professionnelle de son choix. Une distinction est établie entre DIF prioritaires, financés sur les fonds mutualisés, et non prioritaires, financés sur les budgets à la disposition de chaque entreprise individuellement. Parmi les DIF prioritaires, on peut notamment trouver les stages du plan de formation de la branche. Une formation dans le cadre du DIF peut être effectuée pendant le temps de travail ou hors temps de travail.
• Période de professionnalisation Ce type de formation, d’au moins 35 heures a pour objet le maintien dans l’emploi des salariés en CDI. Il permet :
- de suivre une formation figurant sur la liste de la Commission paritaire nationale pour l’emploi et la formation (CPNEF) de l’audiovisuel ;
- d’acquérir une qualification enregistrée au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), ou reconnue dans la convention collective de la branche ;
- d’obtenir une qualification dans le cadre d’une Valorisation des acquis de l’expérience (V AE) ;
- de se réadapter à un poste après une longue absence. Une période de professionnalisation peut être effectuée pendant le temps de travail ou hors temps de travail.
• Contrat de professionnalisation Ce dispositif s’adresse aux jeunes âgés de 16 à 25 ans révolus ou aux demandeurs d’emploi de plus de 26 ans pour leur offrir, à travers une formation en alternance école/entreprise, la possibilité d’acquérir une qualification (diplôme, certificat...) facilitant leur insertion ou réinsertion professionnelle.
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• Congé individuel de formation Le CIF est un dispositif qui permet à tout travailleur de suivre, à son initiative et à titre individuel, une action de formation lui permettant d’accéder à un niveau supérieur de qualification, de changer d’activité ou de profession.
• Congé bilan de compétences Le bilan de compétences permet à un salarié de faire le point sur ses compétences, aptitudes et motivations afin de définir un projet personnel, professionnel ou de formation.
• Validation des acquis de l’expérience La VAE permet à tout salarié, suivant certaines conditions, de faire reconnaître son expérience professionnelle pour l’obtention – hors de toutes actions de formation – d’une certification inscrite dans le Répertoire national des certifications professionnelles.
B. Les salariés « permanents sous CDD de droit commun »
Les salariés sous CDD (hors intermittents du spectacle) peuvent bénéficier de l’ensemble des actions et financements cités ci-dessus. De plus, les partenaires sociaux de la branche Audiovisuel et production cinéma, par un accord professionnel, ont aménagé des conditions d’accès au DIF plus favorables aux salariés du secteur sous CDD que celles prévues par la loi pour cette catégorie de population.
C. Les salariés intermittents du spectacle
Les techniciens du cinéma et de l’audiovisuel – catégorie qui englobe pour l’Afdas les artistes et techniciens du secteur de l’animation – peuvent déposer des demandes de financement de stages de formation, sous condition d’une
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ancienneté professionnelle de 2 ans et de, globalement, 130 jours ou cachets minimum. Au titre du « plan de formation des intermittents », on distingue ici encore entre stages conventionnés (eux-mêmes distingués entre “collectifs” et “en accès individuel”) et stages non conventionnés. Seuls les stages conventionnés collectifs et les stages en accès individuel dont le coût se situe dans les barèmes Afdas font l’objet d’un financement total par l’Afdas. Dans les autres cas, les dossiers sont étudiés au cas par cas et peuvent être présentés à l’appréciation de la Commission paritaire des techniciens du cinéma et de l’audiovisuel.
Par ailleurs, les salariés intermittents ont aussi la faculté, dès lors qu’ils réunissent les conditions d’accès et même s’ils sont en carence pour avoir déjà utilisé des droits à formation dans les 6 derniers mois, de suivre une formation en relation avec des besoins pour une mission précise s’ils produisent une lettre de leur futur employeur. Le dialogue avec l’entreprise apparaît donc central dans le pilotage de la formation professionnelle par le salarié intermittent.
Les allocataires des ASSEDIC qui suivent un stage de plus de 40 heures ont un statut de stagiaire de la formation professionnelle continue et perçoivent une Allocation aide au retour à l’emploi formation (AREF) ; ceux qui suivent un stage de moins de 40 heures ont un statut de demandeur d’emploi et perçoivent une Allocation aide au retour à l’emploi (ARE).
Selon les modalités propres à la nature de leurs activités, les salariés intermittents, à l’instar des salariés permanents, bénéficient d’un accès total à l’ensemble des dispositifs de formation gérés par l’Afdas : DIF, Période de professionnalisation, CIF, Bilan de compétences, VAE.
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Quelques données statistiques37 Les contributions versées (toutes catégories de salariés)
Coût total par dispositif de formation 2005, 2006, 2007
37 Données issues du Rapport statistique entreprises et formation sur le secteur du cinéma d’animation – 2005-2008, de l’Afdas. Voir annexe.
2005
2006
2007
+ de 10 salariés
671 292
896 300
876 556
- de 10 salariés
350 480
440 684
464 203
Total Animation
1 021 772
1 336 984
1 340 759
Total Audiovisuel
47 195 129
54 095 940
58 559 161
% Animation/Audiovisuel
2,2 %
2,5 %
2,3 %
Bénéficiaires « Permanents »
Bénéficiaires « Intermittents »
Plan de formation
2 082 452
3 537 534
Droit individuel à la formation
289 481
50 303
Contrat de professionnalisation
731 374
0
Période de professionnalisation
122 237
72 745
Congé individuel de formation
647 059
375 319
Congé bilan de compétences
39 460
0
T otal
3 912 063
4 035 901
120
Effectifs formés par dispositif de formation 2005, 2006, 2007
(1) Accessibleauxsalariésintermittentsduspectacledepuis2007 (2) Nonaccessibleauxsalariésintermittentsduspectacle (3) Accessibleauxsalariésintermittentsduspectacledepuis2008
Bénéficiaires « Permanents »
Bénéficiaires « Intermittents »
T otal
%
Plan de formation
1 051
1 369
2 420
86%
Droit individuel à la formation (1)
137
43
180
6%
Contrat de professionnalisation (2)
115
0
115
4%
Période de professionnalisation (3)
27
29
56
2%
Congé individuel de formation
2
38
40
1%
Congé bilan de compétences
13
1
14
0,5%
Validation des acquis de l’expérience
0
1
1
0,04%
T otal
1 345
1 481
2 836
100%
121
Chapitre 6 Un dispositif perçu comme inégalitaire et peu lisible
6.1. Une “mosaïque d’institutions”
Au plan des principes, le milieu professionnel est unanime pour reconnaître la nécessité d’une formation professionnelle continue et l’importance de l’existence d’un dispositif administratif et financier pour l’encadrer. Pour autant, l’opinion quasi générale est que sa lourdeur est pénalisante et contre-productive. L’essentiel des difficultés provient de la diversité des statuts des populations concernées par une action de formation continue et par la pluralité des organismes et institutions ayant à en connaître. Nous ne pouvons mieux faire ici que de renvoyer au Rapport public thématique de la Cour des Comptes, La formation professionnelle tout au long de la vie, d’octobre 2008 :
Le système français est caractérisé par une spécialisation des dispositifs dont le cloisonnement est aggravé par son faible niveau de coordination38. La situation particulière du secteur de l’animation ne manque pas d’illustrer ce constat général. Lorsqu’une entreprise a identifié un besoin particulier, elle engage une action qui peut concerner jusqu’à trois populations distinctes, chacune gouvernée par un statut différent : des permanents, des intermittents et des demandeurs d’emploi. Chaque statut dispose des conditions différentes de financement de la formation, des conditions différentes d’accès, des organismes différents de validation des candidatures. Dès lors, la constitution des dossiers devient un “casse-tête” pénalisant pour la plupart des entreprises, dont la plupart
38 Sur les trois champs couverts par son étude (formation professionnelle initiale, formation professionnelle des demandeurs d’emploi, formation professionnelle des actifs occupés), la Cour des Comptes détaille ainsi cette “mosaïque institutionnelle” : L’Etat pour l’enseignement professionnel initial, les Régions et les entreprises pour l’apprentissage, les entreprises et les branches professionnelles pendant les périodes d’activité salariée, à nouveau la Région et les organismes du service public de l’emploi en cas de recherche d’emploi.
122
ne sont pas structurées pour y répondre. Les délais d’instruction ultérieure, par des organismes distincts, sont eux aussi vécus comme des retards insupportables. Si la formation continue des personnels permanents et des salariés intermittents « ayant droits » gérés par l’Afdas ne semble pas problématique, celle des demandeurs d’emploi et des intermittents « non ayant droits », gérés par l’ANPE (devenue Pôle Emploi depuis sa fusion avec les Assedic) obéissent à des réglementations perçues comme rigides et partiellement incompatibles parfois avec celles de l’Afdas..
Dans le cas où il y a une mixité de publics ANPE/Afdas39, une action de formation peut avoir à conjuguer 3 cas de figure administratifs : 1. APR ou Action préalable de recrutement. L’ANPE a mis en place une mesure d’aide à l’embauche pour les demandeurs d’emploi non indemnisés. Le candidat est accueilli et formé pour une durée de 3 mois maximum au sein d’une entreprise, qui s’engage en contrepartie à l’embaucher à l’issue du stage. Il est rémunéré directement par le CNASEA au titre de la formation professionnelle selon sa situation (de 130 à 1932€). L’entreprise désigne en son sein un tuteur, définit un calendrier et un programme de formation. Une convention est ensuite signée avec l’Agence Locale de l’Emploi dont dépend l’entreprise. L’employeur est indemnisé à hauteur de 3€ par heure de formation, dans la limite de 450 heures.
2. AFPE, ou Action de formation préalable à l’embauche, destinée à un demandeur d’emploi, indemnisé ou non, pour une durée de 4 mois et 450 heures maximum, afin de lui permettre d’acquérir les qualifications et compétences professionnelles nécessaires pour accéder à un emploi vacant.
L’action de formation préalable au recrutement peut être mise en place pour une formation pré-qualifiante précédant un contrat de professionnalisation.
39 Occurrence qui s’est rencontrée à plusieurs reprises dans la période récente, singulièrement pour répondre à l’apparition de nouveaux outils logiciels de l’éditeur ToonBoom.
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L’action de formation préalable au recrutement permet d’embaucher, à l’issue d’une formation qualifiante, un candidat immédiatement opérationnel sur son poste de travail. L’acquisition des compétences pour occuper ce poste peut se faire soit dans (l’) entreprise, soit dans un centre de formation.
Une aide au financement de la formation est versée (en cas d’embauche du) demandeur d’emploi en CDI, CDD de 6 mois minimum ou contrat de professionnalisation :
aide forfaitaire fixe de 5 € TTC par heure pour une formation interne, dans la limite de 2 250 €,
montant moyen d’aide de 8 € TTC par heure pour une formation externe, dans la limite de 3 600 €.
3. Gestion par l’Afdas pour les salariés intermittents qui remplissent toutes les conditions exigées. Pour éviter de se perdre dans ce byzantinisme administratif, on retiendra simplement que les contraintes imposées pour les APR et les AFPE sont supérieures à celles imposées pour les stagiaires Afdas : pour ceux-là, la formation ne doit pas être interrompue, ce qui peut être une difficulté supplémentaire, et l’embauche doit être immédiate à l’issue de la formation.
Ces contraintes ne tiennent pas compte de la réalité du terrain dans le secteur de l’animation, où les retards au démarrage d’une production sont plutôt la règle que l’exception. En cas de retard, l’entreprise ne peut embaucher immédiatement, et perd donc les 3 €/heure/stagiaire que donne l’ANPE pour les APR et les 8 € pour les AFPE. Or, ce montant équivaut environ à l’embauche de ces personnes pendant 3 jours. Conclusion pour l’entreprise : mieux vaut ne pas former si l’on veut éviter, dans le cas, fréquent, d’un retard de production, de devoir payer des personnels sans avoir de travail à leur donner.
Les durées de formation admises sont également variables : une formation de 3 semaines sera admise par l’Afdas, tandis que l’ANPE ne reconnaît que des formations de 22 jours ouvrables, soit 5 semaines. D’où parfois (souvent ?) un
124
“maquillage” des dossiers, qui, dans notre exemple, présenteraient une formation de 3 semaines (réelles) + 2 semaines (fictives) en entreprise. Autre anomalie fréquemment signalée : les stagiaires Afdas perdent leurs droits à indemnisation au chômage s’ils se déclarent comme tels au Pôle Emploi. Commentaire d’un chef d’entreprise : Les organismes gestionnaires en viennent à oublier pourquoi on fait de la formation continue. Ils appliquent rigidement leurs règles en oubliant qu’on forme pour permettre l’accès à l’emploi. Il faudrait raisonner en termes d’investissement. Ce propos – auquel certains reprocheront de faire trop bon marché de la nature paritaire du dispositif - fait cependant écho au rapport de la Cour des Comptes: Chaque financeur intervient au profit d’un public particulier selon sa propre logique, sans réelle coordination avec les autres.
On aura compris que ce “double guichet” Afdas/ANPE dans une action de formation collective est générateur, non seulement de pesanteurs, mais encore d’incohérences. Le mal est moindre lorsque les représentants de l’une et de l’autre acceptent de dialoguer et de collaborer ; de tels exemples vertueux, malheureusement trop peu nombreux, nous ont été signalés dans certains territoires. Faute de concertation, la situation de l’entreprise à la recherche de compétences peut vite devenir cauchemardesque, renvoyée de l’une à l’autre, otage de leurs logiques différentes auxquelles s’ajoutent les intérêts de l’organisme de formation. Et ceci dans un contexte professionnel tendu : la réalité du marché est telle que, dès lors que la production financière d’un programme est achevée, aucun retard à sa mise en fabrication ne peut être envisagé.
Le constat s’impose par conséquent que, d’un territoire à l’autre, les conditions de mise en œuvre d’une action de formation professionnelle continue sont extrêmement inégales. La lourdeur et la complexité des dossiers de formation continue ne peuvent être considérées comme des inconvénients mineurs et anecdotiques : elles ont des
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effets directs sur l’efficacité des actions de formation. Des entreprises renoncent à des formations parce qu’elles estiment l’exercice exagérément consommateur de temps ; d’autre part, la relativement faible implication dans la formation continue des structures de formation initiale – phénomène sur lequel nous reviendrons – s’explique au moins en partie par cette pesanteur. A contrario, celles qui peuvent s’adosser à une structure administrative plus large rompue à ces exercices et disposant des personnels idoines bénéficient d’un véritable “avantage concurrentiel”40. Dans l’attente des réformes envisagées au plan national, une mutualisation et une professionnalisation de ces tâches pourraient certainement constituer une piste à explorer rapidement41.
6.2. Un accès inégalitaire
Un autre défaut majeur des dispositifs existants est sans aucun doute leur caractère inégalitaire. Il semble incontestable que les demandeurs d’emploi – c’est-à-dire la population qui en a le plus besoin – sont pénalisés dans l’accès à la formation continue et pâtissent de conditions pratiques et financières désavantageuses. Les agences locales pour l’emploi ne sont que rarement capables d’identifier les formations pertinentes, d’en apprécier les pré-requis, et donc de s’assurer de l’adéquation d’un profil particulier de demandeur d’emploi à une action de formation précise ; en outre, on peut craindre que les organismes de formation privés aient tendance à privilégier des stagiaires Afdas, plus lucratifs que les stagiaires ANPE ; on ajoutera que, dans le cas où des stages sont organisés loin du lieu de résidence des intéressés, la situation matérielle de ceux-ci peut devenir très difficile.
Se vérifient dans le secteur de l’animation des constats déjà formulés par le rapport de la Cour des Comptes : Il apparaît donc que, par son organisation-
40 C’est par exemple le cas de l’EMCA, à Angoulême, qui bénéficie de l’expertise en la matière de la CCI à travers le CIPOF. 41 Signalons cependant que l’Afdas met à disposition des conseillers chargés d’aider entreprises et salariés.
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même, le système de formation professionnelle tend à accuser les inégalités entre les mieux formés, qui bénéficient en général d'un accès aisé et régulier aux dispositifs de formation, et les moins formés, pour lesquels l'accès aux formations se révèle plus irrégulier et difficile.
6.3. Un sentiment d’opacité
Les entreprises, et notamment les plus petites, se disent volontiers mal informées des données financières liées à la formation continue. [Il n’entre aucun élément de suspicion dans ce regret : un autre rapport de la Cour des Comptes, rendu public en février 2008, donnait d’ailleurs quitus à l’Afdas de sa gestion, alors que d’autres OPCA étaient incriminés42.] Or, ces données sont publiques et transmises par l’Afdas aux entreprises, y compris celles concernant la collecte relative aux intermittents. S’affirme ici un sentiment subjectif d’opacité quant aux flux financiers générés, exprimé de bonne foi par plusieurs de nos interlocuteurs. Ce sentiment, si infondé puisse-t-il être, constitue par lui-même un problème et révèle pour le moins une difficulté de communication. Il est certain qu’une implication plus soutenue des entreprises au sein des organisations paritaires – question sur laquelle nous reviendrons – permettrait de le réduire. Mais peut-être aussi l’Afdas devrait-il prendre davantage en compte cette difficulté et amender sa communication.
Le coût des formations pour les entreprises fait également problème. Pour une majorité de celles que nous avons rencontrées, il est exagéré. Elles y voient un effet collatéral de la lourdeur des dispositifs et de la pluralité des organismes financeurs. Lorsqu’une entreprise engage une action de formation en prévision d’embauches nécessaires, il peut arriver qu’un certain pourcentage seulement des stagiaires soit éligibles au financement par l’Afdas. Or, le montant de l’indemnisation par stagiaire de l’ANPE est jugé ridicule. Dans le contexte
42 L’Afdas rappelle souvent qu’une certification ISO 9001:2000 lui est délivrée depuis 2003 pour l'ensemble de ses services.
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économique actuel – et singulièrement pour les prestataires de fabrication qui ont été obligés de réduire sensiblement leurs marges -, la charge de la formation est jugée trop lourde, parfois estimée équivalente à celle supportée par l’Afdas ; si de plus la formation nécessaire concerne un nouvel outil, les pertes initiales de productivité contribuent à alourdir le coût. Pour pouvoir malgré tout engager l’action de formation sans que l’entreprise ait trop à débourser, il peut s’ensuivre un nouveau “maquillage” : une formation d’une durée réelle de 20 heures peut être déclarée d’une durée de 60 heures. Ceci n’est évidemment possible qu’avec la complicité de l’organisme de formation, dispensé de la sorte de diminuer ses tarifs. L’Afdas est évidemment la première victime, et, à travers lui, le secteur dans son ensemble. Le cas semble si peu exceptionnel que certains organismes de formation feraient la tournée des studios en proposant spontanément ce genre de “solutions”.
Nous avons rencontré d’autres exemples, ceux-ci beaucoup plus rares, d’entreprises très satisfaites du dispositif parce qu’elles parviennent à le détourner à leur avantage. Ont été évoquées devant nous certaines pratiques, consistant en l’habillage “malin” des dossiers, avec la complicité d’organismes de formation, et qui permettraient de s’affranchir de la règle commune.
L’Afdas ne conteste pas la possibilité théorique de tels errements. Ses moyens de contrôle, fait-il valoir, sont purement administratifs. Dès lors que les dossiers sont formellement corrects, on comprend qu’il n’est pas armé pour détecter d’éventuels abus ou contournements. Il n’en exprime pas moins le désir qu’une collaboration plus étroite avec le milieu professionnel permette une autre approche qu’administrative et impersonnelle.
Quand bien même ces pratiques seraient exceptionnelles, quand bien même elles ne seraient pas explicitement illégales, il demeure qu’elles constituent une perversion des moyens et objectifs du dispositif de formation professionnelle continue. Qu’elles soient “techniquement” possibles est en soi dommageable, du fait du préjudice immédiat causé à l’ensemble du secteur, du fait aussi de
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l’obstacle qu’elles constituent à la mise en œuvre de stratégies de formation concertées. Ces connivences appellent une réforme, sinon des textes réglementaires, du moins des pratiques professionnelles, qui aille dans le sens d’une maîtrise des coûts et d’une évaluation des contenus de formation.
Pour l’heure, le milieu professionnel semble souvent se satisfaire sur ces questions d’un étrange fatalisme qui n’est pas de nature à favoriser la résolution de ces questions.
6.4. Une qualité incertaine
A interroger les entreprises qui ont eu recours à des stages de formation concernant le “cœur du métier”43, la conclusion s’impose que la qualité des contenus est variable, selon une amplitude forte. Ou, pour le dire plus crûment : il n’est pas exceptionnel que des formations soient jugées complètement insatisfaisantes, et incompétents les organismes et/ou personnels qui les dispensent.
L’Afdas rappelle la règle : toute action de formation doit être effectuée par un organisme de formation reconnu après une procédure d’habilitation administrative. Certes, mais le rapport de la Cour des Comptes apporte un éclairage plus précis sur la question. Outre des procédures déclaratives, observent les rapporteurs, un contrôle de la qualité des prestataires a été introduit dans la mesure où “les personnes physiques ou morales (qui réalisent des actions de formation professionnelle) doivent justifier des titres et qualités des personnels d’enseignement et d’encadrement qu’elles emploient et de la relation entre ces titres et qualités et les prestations réalisées”. La loi ne précise toutefois pas la nature de ces “titres et qualités”, ce qui prive de toute effectivité cette disposition.
43 Ce sont évidemment celles qui concernent spécifiquement le secteur de l’animation et entrent directement dans le cadre de la présente étude. D’autres ne lui sont pas spécifiques mais n’en répondent pas moins à des besoins réguliers ; nous citerons notamment : les formations à l’anglais, à la bureautique, à l’administration.
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On ne saurait être plus clair. Du côté de l’Afdas, en aval des formations, des visites d’évaluation sur sites des organismes formateurs sont pratiquées par des consultants mandatés par lui. Compte tenu du volume d’organismes avec lesquels l’Afdas travaille chaque année, ces visites ne peuvent guère avoir qu’une efficacité limitée. Trois catégories d’organismes sont actifs dans la formation professionnelle, appartenant :
- - -
au secteur privé à but lucratif ; au secteur privé à but non lucratif (associations, etc.) ; au secteur public et parapublic (AFP A, CNAM, universités, GRET A, organismes consulaires).
Pour le secteur de l’animation, on peut superposer à cette grille une autre grille, qui distingue entre les structures de formation professionnelle qui ont également une activité de formation initiale et celles qui n’en ont pas. Certes, celles-ci ne sont pas forcément illégitimes, et celles-là ne sont pas forcément compétentes. On peut néanmoins estimer que les structures de formation initiale jugées compétentes dans ce champ, telles que décrites dans la première partie de cette étude, auraient particulièrement vocation à l’être également dans celui de la formation professionnelle continue. Or, on observe que plusieurs n’y interviennent jamais, et certaines très rarement. La lourdeur des procédures, des difficultés pratiques à mener de front les deux activités, un lien trop lâche avec le milieu professionnel contribuent sans doute à expliquer cet éloignement, que nous estimons regrettable.
Des évaluations systématiquement demandées aux stagiaires à l’issue de leur stage de formation professionnelle continue ne suffisent pas à apprécier finement leur qualité.
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Toujours est-il que l’on doit constater l’absence de procédures d’évaluation effectives et reconnues. Sur le marché libre de la formation continue coexistent des offres de toutes natures et de toutes qualités et prospèrent des pratiques largement condamnables. La nécessité d’un pilotage, articulé sur une réflexion stratégique, doit ici être fortement affirmée.
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Chapitre 7 La dictature de l’immédiat
7.1. Les paradoxes de la formation continue
Faute d’une stratégie collective réfléchie des entreprises – dont l’une des manifestations est leur défaut d’investissement des instruments paritaires de pilotage des dispositifs de formation continue - la pratique des entreprises du secteur de l’animation consiste très majoritairement à réagir au coup par coup à des situations d’urgence44. La situation dominante peut être caractérisée par :
- la prise en compte des seuls besoins singuliers de l’entreprise ; - une anticipation très faible (pour ne pas dire nulle) des besoins. Il serait vain d’incriminer les entreprises ou leurs responsables. La réalité du terrain est gouvernée par des incertitudes fortes, dont nous rappellerons certains traits. Le montage financier d’une production pour le marché de la télévision (qui continue de constituer le plus gros de l’activité) est un processus complexe dans lequel interviennent de nombreux acteurs : un producteur et ses coproducteurs, plusieurs organismes institutionnels (nationaux et régionaux), plusieurs diffuseurs internationaux, des distributeurs, des organismes de banque et de crédit, des prestataires techniques de fabrication éventuellement actifs sur des territoires différents... C’est donc aussi un processus lent. Mais, dès lors que le montage est achevé et les contrats signés, les délais de livraison du programme ne laissent plus guère de marge de manœuvre et imposent une mise en fabrication rapide, et rapidement efficace.
44 On n’a même pas le temps d’y penser, résume brutalement un directeur de studio. 132
En forçant à peine le trait, on pourrait énoncer le paradoxe suivant : la formation continue est impossible. En phase de montage financier, l’entreprise ne peut former parce qu’elle ignore encore quand – et même si – elle travaillera ; lorsque le montage financier est achevé, elle n’a plus le temps de former. Cette présentation est certes caricaturale, mais elle a, nous semble-t-il, le mérite d’indiquer une difficulté structurelle.
Une issue évidente serait de “caser” les périodes de formation entre deux productions et c’est bien entendu ce que souhaiteraient pouvoir faire les entreprises. Mais on touche ici à un second paradoxe : quand vient l’heure de la formation, il n’y a plus personne à former !
Les populations concernées sont très largement les personnels intermittents. Ceux-ci doivent évidemment attendre d’avoir cessé de travailler pour suivre une formation mais, dès lors que leur contrat est venu à expiration, la décision de suivre un stage leur appartient exclusivement, de même que le choix du contenu de formation. L’entreprise est alors sans pouvoir d’initiative ; en outre, elle ne peut avoir aucune certitude quant à la nature et à la qualité de la formation choisie par un intermittent, ni quant à sa décision de la rejoindre au terme de sa formation. Sous sa forme actuelle, le dispositif de formation professionnelle continue des intermittents tend à déresponsabiliser l’entreprise. On ajoutera une autre difficulté : il est loin d’être établi que les intermittents disposent des éléments d’information nécessaires pour éclairer leurs choix de formation. De la même façon que pour la formation initiale, une veille articulant l’observation des évolutions économiques, réglementaires, technologiques permettrait seule une compréhension qualitative et quantitative du marché de l’emploi et de ses tendances.
7.2. Des besoins identifiés... ou non
Dans la situation d’urgence que nous venons d’évoquer, les besoins de formation auxquels il est répondu sont les besoins à court terme, voire à terme
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immédiat. C’est souvent parce qu’une production précise requiert la mise en œuvre d’outils particuliers qu’une formation est décidée. Les logiciels 2D les plus couramment utilisés en production de série sont donc logiquement ceux pour lesquels la demande est la plus constante, et l’apparition d’un nouvel outil suscite nécessairement un nouveau besoin. Le phénomène a été constaté avec les outils de l’éditeur canadien ToonBoom, pour lesquels, dans la période récente, neuf entreprises françaises ont demandé des formations. Il en va de même en 3D, où des formations sont nécessaires, soit pour des animateurs 2D, soit pour des animateurs 3D utilisateurs d’un logiciel particulier et qui doivent se familiariser avec un autre.
C’est ici le marché qui commande le choix des formations ; parfois, l’éditeur du logiciel en détermine directement les modalités, en agréant un organisme de formation et en déléguant des membres de son personnel pour y assurer les formations. Dans ce dernier cas, les stagiaires individuels et les entreprises d’animation n’ont accès qu’à une offre unique et se trouvent captifs de contenus et de tarifs qui leur sont imposés, quelle que puisse être par ailleurs la pertinence pédagogique de l’offre. Cette pratique peut faire débat.
Dans un cadre de formation professionnelle continue, l’utilité de la prise en main d’outils particuliers n’est pas par elle-même contestable. Encore faut-il prendre garde à certains risques : - dans un secteur fortement modelé par l’évolution technique, la question de l’obsolescence des outils est cruciale ; il ne serait donc pas sans intérêt de procéder à une sorte d’“audit” des outils, qui devrait vérifier que l’offre de formation est en phase avec la réalité du secteur et que ne sont pas proposées des formations à des outils sans avenir. Si les entreprises ont certainement dans leurs équipes permanentes des responsables capables d’en juger, il n’est pas sûr que les salariés intermittents disposent de la même qualité d’information ;
- la formation à l’outil – comme nous l’avons signalé à propos de formation initiale – est inopérante si elle n’a pas été préparée par une formation au métier.
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Lorsqu’un nouvel outil apparaît, qui par exemple permet d’informatiser une tâche auparavant manuelle, ce nouvel outil ne peut être utilement confié qu’à des professionnels qui étaient déjà capables d’effectuer cette tâche avant son informatisation. Un outil de storyboard informatisé n’a de sens et d’intérêt que pour un storyboarder, un logiciel d’animation que pour un animateur. Or, certains stages de formation continuent d’ignorer la distinction de l’outil et du métier, au mépris de l’expérience constante des professionnels. Il faut donc redire que c’est un mauvais service rendu aux personnes comme aux entreprises ;
- le point précédent est une illustration particulière d’une question générale : l’adéquation des profils des stagiaires aux contenus des stages. La question est récurrente, nous l’avons signalé, pour les demandeurs d’emploi. Nous avons également relevé dans la première partie les difficultés éprouvées par les personnels les plus âgés relativement aux évolutions technologiques, et signalé qu’il s’agissait en l’espèce d’un enjeu majeur de formation continue. En l’état, le marché de la formation continue ne semble pas répondre suffisamment à cet enjeu. Certains de nos interlocuteurs nous ont en effet signalé que des stages de quelques semaines – a fortiori de quelques jours – d’apprentissage d’un logiciel pouvaient très difficilement suffire à “mettre à niveau” des personnels plus âgés, en concurrence sur le marché du travail avec des jeunes professionnels qui ont acquis ces savoir-faire au cours de plusieurs années de formation initiale. Il paraîtrait donc souhaitable, pour sécuriser le parcours professionnel de ces personnels et permettre aux entreprises de profiter pleinement de leur expérience, de recourir à des dispositifs plus spécifiques.
Nous avons voulu montrer précédemment que la pratique la plus courante, en matière de formation continue, était de mettre en place des actions de formation à des outils particuliers pour répondre à des impératifs de production spécifiques. Nous voudrions maintenant suggérer qu’au-delà de ces –
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nécessaires – réponses d’urgence, il conviendrait de prendre en compte la nécessité complémentaire d’autres actions, plus structurantes, orientées vers le moyen terme et reposant sur des ambitions plus qualitatives que quantitatives. Le principe que nous souhaitons ici défendre est celui de “formations continues d’excellence”, chargées de répondre aux déficits qualitatifs déjà constatés comme à ceux, prévisibles, induits par le développement souhaité d’une production cinématographique concurrentielle. Plusieurs compétences à forte valeur artistique et/ou technique ajoutée peuvent être concernées. Il appartiendrait au milieu professionnel d’en dresser l’inventaire, mais il semble peu douteux que le storyboard, ou l’animation 3D dans ses diverses composantes, pourraient faire l’objet de modules de formation spécifiques. De la même façon, des compétences “pointues” liées à la maîtrise de technologies innovantes pourraient de la sorte être affûtées et actualisées. Des formules de type “master class” seraient particulièrement efficaces, qui mettraient en présence sous forme intensive des professionnels très rigoureusement sélectionnés et des “maîtres” à l’expertise reconnue.
Certains organismes de formation privés prétendent se livrer à l’exercice, mais sans les procédures de réflexion, de sélection, de mutualisation et de contrôle qui peuvent seules lui donner sa vraie mesure. C’est là une orientation proprement stratégique, que seul peut définir et porter le milieu professionnel au travers de sa représentation, pour ensuite établir avec ses partenaires naturels les conditions pratiques de sa mise en œuvre.
Dans un esprit également prospectif, on s’étonnera que le “cross media”, désormais inscrit dans tout projet de production, ne fasse l’objet d’aucune attention réelle en termes de formation continue pour le secteur de l’animation. L’horizon du cross media ne peut se limiter à la seule déclinaison parallèle sur différents supports d’une même propriété intellectuelle. Il doit, pour constituer un élément de réponse aux enjeux de financement et de productivité, englober les logiques de fabrication. Il conviendrait d’y préparer dès maintenant les
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professionnels de l’animation en favorisant des contenus de formation transversaux. Il s’agit ici encore d’un axe de développement stratégique qui appelle un effort de mutualisation et une prise en compte collective.
7.3. Un dialogue défaillant... à relancer
Il est révélateur de constater que, dès lors qu’il est question de formation professionnelle continue pour l’animation, surgit la référence à un “âge d’or”, où le lien direct entre le CNC, l’Afdas et le CFT Gobelins permettait une action rapide et coordonnée et où quelques échanges téléphoniques entre quelques personnes permettaient de résoudre toutes les difficultés. Nous sommes aujourd’hui aux antipodes de ce fonctionnement.
Il est certes évident que la période présente n’est pas comparable à celle des pionniers d’un secteur créé pratiquement ex nihilo sous l’effet d’une volonté politique : le nombre des entreprises concernées et des structures de formation, la variété des outils et techniques mis en œuvre sont aujourd’hui sans commune mesure, et rendent inenvisageable une gestion immédiate et personnalisée des dossiers. Mais le constat qui s’impose désormais est que le dialogue entre les différentes parties prenantes entreprises, CPNEF/A V , organismes de formation, Afdas, ANPE - est au mieux insuffisant. Les entreprises, répétons-le, se plaignent de la lourdeur des dispositifs, du coût exagéré des formations, de leurs qualités incertaines, d’une information insuffisante, toutes récriminations qui tendent à mettre en cause une opacité générale du système.
L’Afdas fait observer de son côté que le SPFA, qui les représente, est peu assidu dans les instances paritaires et souhaiterait qu’il alimente sur une base régulière le travail de ses techniciens. En clair, il déplore de ne pas avoir d’interlocuteurs « référents » dans le secteur professionnel (ni non plus au CNC, qui en dit autant sur l’Afdas) et signale qu’il lui est fort difficile de prendre en compte sa demande si la demande n’est pas formulée. Il s’affirme donc demandeur d’un fonctionnement différent.
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Quid des organismes de formation ? Eux aussi obéissent à un fonctionnement “au coup par coup” avec les entreprises demandeuses de formations, avec l’Afdas et l’ANPE, sans vue d’ensemble et sans concertation réelle. On pourrait donc estimer qu’ils devraient avoir leur place dans un dialogue structuré. Cela ne semble guère concevable dans un premier temps. Le principal obstacle, à notre sens, réside dans leur prolifération sur un marché non réglé, et dans l’incertitude subséquente de la qualité de leurs prestations. La mise en œuvre concertée de procédures fiables d’évaluation et d’orientation, au sein de la CPNEF/AV dont c’est l’une des missions, reposant sur l’appui technique et la collaboration respectifs du SPF A et de l’ Afdas, nous semble un préalable obligé, à partir duquel un dialogue constructif avec des partenaires identifiés pourra être conduit.
Il serait injuste – et vain - de faire porter le poids de la responsabilité d’une situation insatisfaisante sur tel organisme ou sur tel autre. L’analyse du paysage de la formation professionnelle continue pour l’animation fait apparaître un défaut général de réflexion commune et d’action concertée et ce défaut ne tient pas au mauvais vouloir des personnes ni aux défaillances des organismes : il est structurel. Il ne s’agit pas seulement ici de restaurer une volonté de dialogue, mais bien de créer ses conditions organisationnelles. Nous essaierons d’en indiquer certaines voies dans le chapitre suivant.
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Chapitre 8 Conclusions et pistes de réflexion
8.1. Principales conclusions Des enjeux stratégiques, mais des actions seulement ponctuelles Les enjeux structurels de la formation professionnelle continue pour le secteur de l’animation concernent principalement : - les déficits de compétences relevés dans la première partie : storyboard, animation numérique, gestion de production ; - les conséquences sur les personnels de la généralisation des outils numériques dans la chaîne de fabrication ; - la prise en compte des évolutions des techniques et des marchés. Mais la réalité des pratiques fait apparaître que les actions de formation engagées constituent le plus souvent une réponse ponctuelle et empirique à des besoins conjoncturels, orientées vers la prise en mains d’outils logiciels particuliers. L’organisation générale des dispositifs de formation continue et le fonctionnement du secteur tendent à ne faire émerger que des initiatives individuelles des entreprises, sans vue d’ensemble ni anticipation, et par conséquent sans réflexion stratégique (pas de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Carrières, quand 80 % de la main d‘œuvre est intermittente). S’agissant du secteur spécifique de l’animation, l’accompagnement des “chocs technologiques” contemporains, l’intelligence des évolutions des marchés, la veille sur l’émergence de nouveaux savoir-faire, l’accès à des compétences techniques et artistiques de haut niveau sont, à très peu près, absents du paysage de la formation continue.
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De ce fait, le système de formation professionnelle continue, bien qu’il dispose de moyens importants, ne satisfait qu’imparfaitement à sa mission dans ce secteur en raison notamment de dispositifs peu adaptés à une population par nature extrêmement mobile professionnellement : dynamiser les compétences mobilisables, sécuriser les parcours professionnels, optimiser les résultats des entreprises.
Un fonctionnement beaucoup trop complexe
La pluralité des statuts des bénéficiaires de la formation continue et des organismes en charge de leur gestion induit une complexité administrative incompatible avec la réalité de la vie des entreprises. Cette complexité se trouve aggravée par les réglementations partiellement contradictoires et la coordination aléatoire des organismes gestionnaires. L’efficacité des actions engagées, pour les personnes comme pour les entreprises, en pâtit directement.
L’accès à la formation est inégalitaire pour les différentes catégories de personnels : permanents, intermittents, demandeurs d’emploi, au désavantage de ces derniers, les plus vulnérables. Le contexte économique et financier de la formation professionnelle continue reste partiellement opaque aux yeux des entreprises : le secteur professionnel se dit mal informé des flux financiers, bien que l’information soit disponible et fasse d’ailleurs apparaître que le montant des cotisations versées par les entreprises de l’animation est totalement utilisé pour la formation des salariés du secteur ; le coût des prestations des organismes formateurs est mal perçu, et souvent jugé excessif. Il en résulte pour les entreprises le sentiment subjectif d’avoir à supporter une charge trop lourde. Lourdeurs administratives et coûts trop élevés semblent pouvoir induire la tentation de contourner les dispositifs réglementaires.
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Une évaluation introuvable
L’interrogation sur les tarifs des prestations des organismes formateurs se renforce des incertitudes accompagnant leur qualité. Les procédures d’agrément constituent un adoubement administratif mais n’apportent pas de garantie réelle sur le plan de la compétence professionnelle des organismes ni des personnes. L’offre de formation, par ailleurs éclatée entre de nombreux organismes obéissant à des statuts variés, n’est pas immédiatement lisible par les entreprises, moins encore par les personnels. A propos des contenus de formation relatifs au “cœur du métier”, les organismes qui dispensent des formations initiales de qualité réunissent par hypothèse les compétences nécessaires et peuvent prétendre à une légitimité a priori. Cependant, plusieurs d’entre eux n’ont pas – ou guère – d’activité de formation continue.
La nécessité d’une évaluation fiable est impérieuse, et exige une évolution des pratiques. Il revient au milieu professionnel de prendre l’initiative sur ce plan.
Quel temps pour la formation continue ?
Nous avons risqué précédemment deux paradoxes : 1. Une entreprise d’animation ne peut pas prendre le risque d’engager une
action de formation continue avant que le montage financier d’une production ne soit achevé et, lorsqu’il est achevé, elle n’en a plus le temps.
2. Bien que la possibilité juridique en existe, une entreprise d’animation, le plus souvent, ne forme pas des intermittents quand ils sont sous contrat, et pas non plus à l’expiration du contrat puisqu’ils sont alors seuls juges de l’opportunité et du contenu d’une formation éventuelle.
Certes, ces paradoxes ne sont que rhétoriques. Mais les difficultés qu’ils soulignent sont bien réelles. Au niveau de l’entreprise, le temps et les moyens pour la formation sont une denrée rare.
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Un dialogue à structurer
La situation d’ensemble est celle d’un fonctionnement à l’aveugle, dans lequel chacune des parties prenantes (entreprises, professionnels, organismes gestionnaires et financeurs, organismes formateurs) agit ou réagit en considération, qui de ses besoins immédiats, qui des textes qui règlent son activité, qui de ses intérêts particuliers. Ni réflexion commune, ni mutualisation de l’information, ni vision d’ensemble. Le dialogue, quand il existe, n’intervient que pour résoudre une difficulté ponctuelle. Il n’y pas ou trop de pilote(s) dans l’avion, mais pas non plus de plan de vol, et l’horizon de chacun se réduit aux dimensions de son hublot.
8.2. Des pistes... et des questions
Nous espérons avoir rendu perceptibles les lacunes du fonctionnement du dispositif de formation professionnelle continue. Notre conclusion générale est qu’il ne s’agit pas en l’occurrence de dysfonctionnements de détail auxquels on pourrait remédier par des mesures ponctuelles. Certaines mériteraient cependant d’être mises à l’étude. Nous citerons : le principe d’une sorte de “droit de tirage” pour les entreprises régulièrement cotisantes, leur permettant d’engager une action de formation sans autorisation préalable ; un “guichet unique” de gestion et financement des actions ; la pratique systématique d’enquêtes de satisfaction à l’issue d’un stage, auprès des entreprises et des individus ; un annuaire des actions engagées au cours de l’année précédente dans le secteur, spécifiant les contenus de formation, les nombre et qualité des stagiaires, l’identité des organismes formateurs et les tarifs pratiqués ; la mise en œuvre d’outils de télé- enseignement, encore dans l’enfance en France, mais susceptibles d’assouplir les contraintes de lieu et de temps.
Au demeurant, une réflexion générale est actuellement engagée sur ce dossier – au-delà donc du secteur de l’animation – par la puissance publique et les
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partenaires sociaux, dont il serait bien illusoire de prétendre anticiper les conclusions ou le calendrier. Les préconisations que nous soumettons ici doivent par conséquent s’entendre à réglementation constante. L’essentiel du diagnostic tient pour nous dans un pilotage défaillant et donc dans l’insuffisance de vision stratégique, tant au niveau des entreprises que des institutions en charge de ces questions. Cette carence majeure est structurelle et ne dépend pas de mauvais-vouloir individuels ni de défaillances de nature. Comment y mettre fin ? Ni les organismes financeurs, dont l’action est réglée par des textes contraignants, ni, encore moins, les prestataires de formation, qui interviennent “en bout de course” et n’ont, de surcroît, aucune identité collective, ne sont en position d’apporter l’impulsion nécessaire pour introduire une dynamique nouvelle. Seul le milieu professionnel, demandeur et bénéficiaire des actions de formation professionnelle continue, peut prétendre donner cette première impulsion, à partir de laquelle une démarche collégiale pourra initier une réforme en profondeur des pratiques. Une difficulté se présente ici : par “milieu professionnel”, on ne peut entendre ni une somme d’individus, ni un agrégat d’entreprises. Les salariés du secteur, pas plus que les entreprises considérées isolément, ne sauraient avoir ni les moyens matériels et intellectuels, ni l’information suffisante, ni la légitimité pour engager les actions nécessaires. Seule une démarche de caractère collectif peut y prétendre. La volonté “politique” en existe-t-elle? Serait-elle suffisamment forte pour bousculer les conformismes, les situations acquises, les idées toutes faites ?
Le défi est de taille. Examinons la nature des actions qu’il serait nécessaire de mener pour remédier aux carences constatées. • collecter et mutualiser l’information disponible sur le marché du travail et son évolution, en qualité et en quantité ;
• identifier en conséquence les besoins à court terme, pour une entreprise singulière comme pour l’ensemble du secteur ;
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• organiser une veille sur les évolutions de marchés, permettant d’anticiper les effets induits sur la main d’œuvre, en qualité et en quantité ; • organiser une veille sur les évolutions technologiques, permettant d’anticiper le besoin éventuel de compétences nouvelles ;
• engager un dialogue avec les organismes de formation initiale susceptibles d’intervenir en formation continue ; • assister les entreprises et les salariés dans l’identification des organismes de formation pertinents pour les besoins exprimés ;
• diffuser dans le milieu professionnel une évaluation progressive des prestations des organismes de formation, devant aboutir à un annuaire des organismes ayant démontré leur compétence ; • contribuer à la transparence financière en renforçant la diffusion des données relatives aux montants de la collecte, aux coûts des formations, aux tarifs des prestations.
Du point de vue des entreprises d’animation, une mutualisation des ressources – documentaires et intellectuelles – serait souhaitable, non seulement pour identifier les besoins, les qualifier précisément et les quantifier, mais aussi pour engager certaines actions de formation dont le besoin serait commun à plusieurs entreprises.
La question de ce que nous avons appelé plus haut des “formations continues d’excellence” (pour le marché du cinéma, notamment) ou du développement de compétences stratégiques à moyen terme, reste posée. Qui pourra prendre l’initiative de les organiser avec les nécessaires garanties de compétence, selon des formats pédagogiques efficaces (“master classes” intensives, par exemple) et des calendriers adaptés aux contraintes des studios ?
Sur un plan général, qui dispose des moyens matériels, organisationnels et intellectuels pour formuler une ambition structurante pour le secteur, capable de remplacer la myopie par la construction de l’avenir, la réaction individuelle par
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la maîtrise collective, la dépendance par l’initiative ? Qui pourra porter la réforme et l’innovationcommandées par un contexte économique, technologique et artistique toujours plus complexe ?
La seule mécanique institutionnelle peut-elle suffire à apporter des réponses ?
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CONCLUSIONS GÉNÉRALES
En matière de formation, initiale comme continue, le secteur français de l’animation dispose d’atouts importants: un riche éventail de formations initiales de haute qualité ; des dispositifs de formation continue inscrits dans la loi et assis sur un financement pérenne. Dans un contexte international qui exige l’articulation d’une constante amélioration de la qualité artistique et d’une optimisation permanente de la productivité, et qui impose la prise en compte d’avancées technologiques régulières, il n’est pas exagéré de prétendre que la qualité des formations constitue un avantage concurrentiel.
Pour autant, les conditions pratiques de mise en œuvre des formations font apparaître des lacunes et des dysfonctionnements : le caractère anarchique du marché de la formation les explique largement, concurremment avec l’insuffisance du dialogue entre les acteurs: entreprises, organismes de formation, organismes institutionnels (CPNEF/AV, syndicats, Afdas, CNC). Une refondation est à notre sens nécessaire, qui vise à substituer au désordre des pratiques singulières une politique véritable, articulée sur la compréhension des enjeux et la définition collective des méthodes et des moyens. Il revient selon nous au milieu professionnel, incarné notamment par le SPFA, accompagné de la CPNEF et de l’Afdas dont il est membre, et en collaboration permanente avec ses partenaires nécessaires, d’être le premier moteur de cette refondation.
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Entreprises et studios
2d3D Animations 2 Minutes Action Synthèse Alphanim Attitude Studio Blue Spirit Callitoon Caribara
Circus Cube Def2Shoot Dupuis Ellipsanime ETS/Comptoir Angoumoisin de l’Animation Folimage
Futurikon GO-N Productions Je Suis Bien Content Label-Anim Les Armateurs Les Cartooneurs L’EST Luciole-Image Mac Guff Ligne Marathon Media Method Films/Onyx Films
LISTE DES ENTRETIENS
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Millimages Mikros Image MoonScoop Neomis Animation Normaal Animation Samka Productions Studio Hari TeamTO TeleImages
The Bakery UbiSoft Xilam Animation
Organismes de formation
ArtFX ATI Ecole Emile Cohl Ecole Estienne Ecole Georges Méliès EMCA ENJMIN ENSAD ESAAT ESMA Gobelins Ingemedia Isart Digital La Poudrière LISAA
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Supinfograph Nice Supinfocom Arles Supinfocom Valenciennes Vocation graphique
Organismes institutionnels
Afdas Cap Digital CFDT CITIA CNC Imaginove SNTPCT SPFA
LISTE DES QUESTIONNAIRES RENSEIGNÉS
Buf Compagnie (studio, France) DreamWorks Animation (studio, USA) ESAG Penninghen (école) Institut Sainte-Geneviève (école) Moving Picture Company (studio, UK) Objectif 3D (école) Passion Pictures (studio, UK) Rhinoceros (formation continue)
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